Quand une exposition pousse à l’exhibition de livres ouverts et offerts en provenance de l’Enfer*, vos amis rechignent moins à vous accompagner sur ces « Scènes de plaisir » dont les vitrines peep-show dévoilent des écrits et images à rendre majuscule le X d’une position généralement si sage.
Les équipes de la bibliothèque patrimoniale aiment à renverser les clichés, pointer l’originalité et dévoiler les dessous affriolants d’un univers dont le sérieux n’engendre pas la mélancolie.
Lire est un plaisir qu’il faut quelquefois agrémenter pour le partager.
Franchir les portes d’un temple de la culture demande parfois une carotte au goût de péché.
De textes léchés en grivoiseries salaces, de gravures en luxure, de menus en histoires d’O à la bouche, voici une exposition qui ne fait pas dans la dentelle si ce n’est celles des frou-frous indicateurs de ces objets qui ne demandent qu’à s’offrir.
Le XVIIe siècle est l’ensemenceur du libertinage de chair et d’idées (Le bourguignon Bussy-Rabutin et sa fameuse Histoire amoureuse des Gaules) que le siècle des lumières porte à des sommets inégalés, de l’illustration des « culbutes » érotiques de la Régence, aux lettres intimes dévoilant les liaisons dangereuses, en passant par les visions sadiques du divin marquis jusqu’aux prémices des droits de la femme (The fruit-shop) encore simple « réceptacle ».
Le plaisir libère les pensées et certaines idées alors révolutionnaires.
Le XIXe siècle bourgeois abandonne la liberté de penser pour le privilège de jouir, tantôt censeur de gravures et d’écrits qui se vendent alors sous le manteau et tantôt noceur, profiteur d’une promiscuité féminine entre bordel et illustrations licencieuses de menus virils.

Une tradition jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, qui voit la démocratisation en même temps que la débandade d’un érotisme fouillé.
Aux gravures inspirées de Fragonard et aux « Ragionamenti« , série de propos d’une prostituée à divers interlocuteurs, de l’Arétin (1589) succèdent les cartes postales kitsch dont l’humour potache inspire la vie de bon nombre de nos contemporains…
Car ces objets de curiosité qui font plus ou moins sourire, marquent l’évolution des moeurs, les différentes époques qui successivement ont construit la notre.
Des documents « archéologiques » précurseurs de notre société ou le sexe est « totem suprême ».
Ils font échos à cette volonté de féminité parfaite construite par la chirurgie, ou à ces séminaires de virilité dont les épreuves de force veulent faire perdurer les clichés inscrits dans ces livres.
La possibilité d’une telle exposition implique une liberté de moeurs qui a évolué en obligation de plaisir, nécessaire au bonheur, tandis que le panneau « Interdit aux moins de 16 ans », à l’entrée, se heurte aux réalités « cinématographiques » qui découlent de ces documents et qui inondent les smartphones des collégiens ou des primaires, privés de cette éducation patrimoniale par une époque sexo-schizophrène.
Car au-delà du clin d’oeil et du dépoussiérage de l’image coincée des bibliothèques, c’est toute une évolution de l’érotisme et du plaisir qui est refusée au seul public qui aurait besoin d’une éducation à ce propos**.
Déjà dans l’action mais privé d’images !
On peut aussi déplorer la quasi abscence dans les collections, ou seulement dans l’exposition (?), de références à l’érotisme homosexuel.
Seul un livre ouvert sur quelques photos du couple d’artistes Pierre & Gilles lève le voile sur des pratiques extrêmes, clichés certainement moins tabous qu’un simple baiser qui devrait pourtant se montrer pour pallier à la montée de l’homophobie dans notre pays, particulièrement chez les adolescents…
Les éditions Gay Kitsch Camp ont pourtant de 1989 à 2006 réédité de rares curiosa dont un texte datant de la révolution française qui prône le respect entre les sexes, l’égalité des sexes et la liberté de tout lien d’affection.
Une exposition à ne pas manquer, une initiative à saluer même si la bibliothèque patrimoniale perpétue, logiquement, une morale dont elle est la gardienne.
Exposition « Scènes de plaisir » à voir jusqu’au 1er juillet, entrée libre.
Visite commentée le vendredi 23 juin à 12h30 (03.80.44.94.14)
Une exhibition en accord avec les rencontres littéraires CLAMEUR(S) qui les 23, 24 et 25 juin réunissent le temps d’un week-end des auteurs et des artistes autour des tourments de l’amour. (Programme disponible le 8 juin)
En attendant, pénétrez cette thématique par une série de conférences et un concert, à découvrir ici.
*L’Enfer est le lieux clos d’une bibliothèque où l’on place les livres dont la lecture est jugée dangereuse.
** Un manuel scolaire va tout de même, à la prochaine rentrée, proposer aux collégiens une représentation exacte du clitoris et de sa fonction de plaisir… Ici.