Exposition « Rêve(s) d’Orient » – Musée Magnin – 4 rue des Bons Enfants

Dans le cadre du festival des Nuits d’Orient qui depuis près de 20 ans dresse à Dijon des ponts entre deux cultures étroitements liées tout en étant à plus d’un égard lointaines, le musée Magnin propose une exposition-témoignage de cette diversité et d’une vision fantasmée qui plonge ses racines plus loin que l’actualité récente.

D’après Horace Vernet, Tamar et Juda, 1840, huile sur métal, Musée Magnin

L’intitulé de l’exposition « Rêve(s) d’Orient » sous entend cette vision exotique, chamarée, épicée, en un mot « extraordinaire », fantasmagorie chromatique opposée au quotidien occidental.

Les artistes français, dont quelques bourguignons, comme le peintre et caricaturiste dijonnais STOP, mettent en scène ces contrées lointaines et fascinantes et cette faune humaine composée de derviches tourneurs, de femmes en architecture mouvante et de turbans basanés aux volumes et aux attitudes plus ou moins menaçantes.

STOP (Pseudonyme de Louis Morel-Retz), Dijon (1825-1899), Journal L’illustration, Bibliothèque municipale de Dijon

Une vision de l’Orient, du XVIIIe siècle au début du XXe siècle, pour voyageur immobile, touche colorée dans le terne salon bourgeois, scène typique pour baroudeur de velours.

Alexis Auguste-Delahogue (1867-1950), Passage d’une caravane à El-Kantara, 1910, huile sur bois, Mâcon, musée des Ursulines

L’accessoire, babouche ou poignard, suffit souvent à des peintres vissés à leur atelier, certains tentant tout de même l’aventure, le voyage vers l’inconnu, afin de témoigner de la vérité de ces contrées lointaines, de ses habitants aux poses fardées pour la circonstance mais dont le quotidien laborieux au milieu de paysages lumineux apporte une touche de réalité au cadre idyllique.

Eugène Delacroix (1798-1863), Vue de Tanger, 1832, aquarelle sur papier, Musée des beaux-arts de Dijon

Les différents salons du musée Magnin nous entraînent à la rencontre de ces ports, de ces femmes, de ces hommes dont l’existence semble souvent surgir de ces histoires d’Antoine Galland (1646-1715) : Aladin, Ali baba… surimpression occidentale sur la traduction de contes du Liban pour la plupart d’origine persane, traduits en arabe à la fin du VIIe siècle et plus connus sous le nom des « Milles et une nuits ».

Nicolas Gosse (1787-1878), Portrait du docteur Lachaise en costume turc, 1825, huile sur toile, Musée Magnin

Une base propre à la rêverie de ces dessinateurs, peintres, graveurs, photographes, costumiers… qui émane pourtant d’un sommeil sur la nature véritable de cet autre monde bercé de couleurs trop belles pour être vraies.

Constant-Georges Gasté (1869-1910), Portrait de femme de Bou-Saâda (Algérie), 1896, huile sur toile, Musée des beaux-arts de Dijon

Cette exposition nous plonge dans ce clivage, clichés qui ne nous ont pas lachés si ce n’est pour atteindre une extrémité qui marque encore la différence.

Ces « Nuits d’Orient » veulent parler d’un sentiment d’ouverture, de compréhension, de connivence avec une culture différente de la plupart d’entre nous, pourtant c’est ironiquement se maintenir dans ce que l’exposition du musée Magnin illustre.

Les poncifs ont la vie dure, les pensées dortoirs ont troqué le chromatisme de carte postale pour la grisaille des banlieux et une larme coule presque sur la joue de celle qui pense faire évoluer les mentalités en perdurant dans les habitudes.

Caftan, 1923, costume de « Hulla, conte lyrique oriental », opéra en 4 actes de Marcel Samuel-Rousseau (1882-1955), laine et soie, CNCS Moulins / Opéra national de Paris

Le cocon ne change rien à l’affaire, le confort l’emporte toujours et cette riche exposition s’achéve sur des costumes de scène, tragi-comédie d’une vie dont le cours ne changera jamais celle de ceux que l’on regarde de loin.


Les Nuits d’Orient : programme ici

Exposition « Rêve(s) d’Orient » jusqu’au 24 février – Visites diverses et conférences… programme complet ici


Illustration en tête d’article : STOP (Pseudonyme de Louis Morel-Retz), Dijon (1825-1899), Journal L’illustration, Bibliothèque municipale de Dijon

Exposition « L’art des tranchées » – Archives départementales de la Côte-d’Or – 8 rue Jeannin

Plus de quatre années de commémorations de la Grande Guerre et combien de manifestions en hommage à ces hommes qui ont vécu dans des conditions atroces ce temps qui nous semblait déjà n’en plus finir dès l’été 14 ?

Une zone de confort à un siècle d’intervalle, différence majeure entre vivre et se souvenir de combats qui en gagnant au fil des semaines quelques mètres de terre nous permet aujourd’hui de ne plus vraiment avoir les pieds dessus.

« On enterre l’adjudant après le combat de Neuville Saint-Wast, 22 mai 1915 », crayon et gouache, attribué à Maurice Le Poitevin

L’inimaginable nous rattrape parfois, mais cette liberté d’y échapper quasiment au quotidien est le fruit du courage de ceux-là même qui devaient lutter pour l’obtenir.

Reste des objets d’art et d’artisanat, autant de cailloux blancs extraits des tranchées, mémoire d’un moment et d’une époque où, face à l’ogre guerrier, chaque soldat était comme le petit poucet, réduit à laisser une trace pour éviter de se perdre entièrement.

Une façon poétique pour les Archives départementales de la Côte-d’Or  de replacer l’individu, ses savoir-faire, ses rêves, son métier d’origine, en première ligne loin du terme générique et réducteur de « poilu ».

Maxime Faivre « Pastel du soldat Mouchoux blessé le 2 octobre 1914 au combat d’Oppy Arras »

Cette exposition d’objets issus de la collection du général Bertrand François, commandant de la nouvelle école de gendarmerie de Dijon, brasse toute les matières (Bois, os, corne, pierre, marquetterie de paille…), toutes les formes (Coupe-papier, vases, briquets, bagues, dessins…) et toutes les origines (Française, Russe, Germanique…), comme la vitrine consacrée au soldat allemand Ferdinand Gassen dont les objets ont été prêtés par sa petite fille.

« Memorabilia » signés, dédicacés à un camarade, une infirmière, offerts à la famille, à l’ami d’une fortune que l’on souhaite conserver malgré la situation.

Expressions d’une victoire sur l’ennemi à qui on a soustrait ces « trésors de guerre » transformés pour se les approprier, spontanéité des premiers temps qui, peu à peu, donne lieu à une véritable industrie.

Ces objets que l’on croit toujours issus des feux de l’enfer sont plus souvent issus du purgatoire des centres de rééducation professionnel pour les mutilés de guerre, ou quasiment du paradis de l’arrière, travail de civils vendu par des bijoutiers.

Grand plateau ouvragé signé « Frère L » daté au dos « Verdun 29 octobre 1917 » – Cuivre d’obus et anses en ceinture d’obus

Un engouement servi par la dextérité de certains soldats, en particulier de ceux issus des colonies (Maroc, Algérie) maîtres dans la transformation des métaux issus de munitions.

Une phase industrielle aujourd’hui oubliée, même si reste dans le souvenir de beaucoup le vase, douille d’obus gravée, sur la cheminée des grands parents.

Une exposition souvenir, une exposition hommage, une exposition humaine où, loin des études de masse privilégiées par les historiens, l’aspect personnel transparaît au sein des archives, gardiennes de l’identité.


Exposition « L’Art des tranchées – Petit Poucet de la Grande Guerre » jusqu’au 20 mars 2019, du lundi au vendredi de 8h30 à 17h, dans la salle des gardes au rez-de-chaussée des Archives départementales de la Côte d’Or, 8 rue Jeannin.

Site internet : ici


En tête d’article : F. Matossy, « La corvée de soupe, Eparges, sept 1915« , aquarelle

Les Péjoces – 239 rue d’Auxonne

Les Péjoces sont à Dijon ce que le Père-Lachaise est à Paris, l’illusion d’une gloire posthume se mesurant à l’ampleur et l’ornementation de ces chapelles privées dont l’actuel abandon relativise cette ambition.

Ce cimetière, créé en 1885, s’étend sur un parc de 30 hectares, alliance du végétal et du minéral assez agréable pour permettre aux vivants de sacrifier au rite social de la Toussaint, hommage annuel à leurs défunts.

Le reste de l’année, le calme du lieu n’est rythmé que par les nouveaux venus accompagnés des pleurs qui en s’éloignant ne laissent inscrit dans le marbre que l’identité sommaire de celui qui a fait leur joie.

Les sépultures plus anciennes gagnent d’une époque aux mémoires d’outre-tombe la bataille du souvenir et de l’implacable oubli en interpellant le passant pour une prière, un moment de recueillement ou par une anecdote, dialogue de chair à pierre ou le mélancolique promeneur apporte le battement d’un coeur quelques minutes partagé.

Une terre nourrie d’émotions, de sentiments et d’amour pour la plupart à jamais enfuis sous la peur de notre propre disparition, ironiquement symbolisée par la lente décomposition des chrysanthémes.

Certaines tombes expriment bien plus, en hommage à une vie de gloire, de réussite ou de passions, qui les transforment en monuments d’une exception dont le souvenir habite notre quotidien.

Edifices des grandes familles aux noms gourmands (Mulot & Petitjean, L’Héritier-Guyot), de dix-sept maires de la ville de Dijon, de l’ingénieur Darcy et des soldats français, allemands, russes, italiens, belges et du Commonwealth morts pour leur patrie lors des conflits du XXe siècle, particulièrement la Grande Guerre.

Un jardin de recueillement qui appelle à la sensibilité telle cette pierre isolée nourrie de ces mots :

Les anges … composent tes chants, mélodieux murmure / Qui s’échappe du coeur par le coeur répondu, / Comme l’arbre d’encens que le fer a fendu / Verse un baume odorant le sang de sa blessure ! / Aux accords du génie, à ces divins concerts, / Ils mêlent étonnés ces pleurs de jeune fille / Qui tombent de ses yeux et baignent son aiguille, / Et tous les soupirs sont des vers ! *

Poème épitaphe d’une lingère dijonnaise, Antoinette  Quarré, qui fait partie de cet essaim chantant de jeunes filles issues des rangs populaires, encouragées par les grands poètes à dépasser leur labeur quotidien pour s’élançer dans la carrière à un rythme tel qu’elles se heurtèrent très tôt contre la tombe.

Antoinette Quarré, née le 16 janvier 1813 à Recey-sur-Ource et morte le 25 novembre 1847 à Dijon

Ces années romantiques (1815-1848) sont les prémices d’une lutte des classes où la plume permet de sortir de l’aiguille, Elisa Mercoeur s’attire ainsi les louanges de Chateaubriand, Musset et Hugo tandis qu’Antoinette Quarré reçoit les encouragements d’Alphonse de Lamartine par cet épître dédié en août 1838 * »A une jeune fille poète » (Paru dans « les Troisièmes méditations poétiques » – 1849)

Une distinction qui lui ouvre les portes des salons de Dijon et de publications bourgeoises comme le « Journal des demoiselles« .

Aujourd’hui ces écrits peuvent être jugés sévèrement, évoquant les envolées lyriques de Walter Scott et les lointains prémices d’une Barbara Cartland dont le succès n’a eu d’égal que la mièvrerie :

Puis je voudrais avoir, au rang de mes conquêtes, / Des héros, des vainqueurs, beaux de gloire et d’amour, / Des princes conviés à mes brillantes fêtes, / Et des rois à ma cour.

Mais, pour tous ces amants insensibles et sévères, / A celui que j’aimais gardant toujours ma foi, / Aimante avec lui seul, avec les autres fières, / Je serais toute à toi !

(Extrait « Elégie« )

Pourtant ces poèmes dénotent, sous couvert d’un romantisme certain, un point de vue féminin aux préoccupations maternelles sensibles, une nouveauté amorcée par Antoinette, lettrée du monde ouvrier, et qui ne connaitra son épanouissement qu’à la fin du siècle :

Que de fois j’ai rêvé, seule, hélas ! sur la terre, / Un ange aux blonds cheveux qui me nommait sa mère, / Un enfant blanc et rose entre mes bras couché, / Jeune être souriant au soleil, à la vie, / Unique et cher espoir de mon âme ravie, / Trésor où mon amour se serait épanché !

(Extrait « Un fils« )

Cette fraicheur de vue, le soutien de Lamartine et les hommages à la famille royale, des Orléans, ont permi l’ouverture d’une souscription, ancêtre du financement participatif, à laquelle 263 notables du département  répondirent en 1843 pour l’édition d’un recueil de quarante de ces poésies.

Y figure l’extraordinaire remerciement à l’épître de Lamartine : (Extrait)

Oh ! Qui m’eût dit jamais, quand de tes chants ravie, / Recueillant tous les sons de ce luth immortel, / De mon coeur qu’enivrait ta sainte poésie, / A ton harmonieux et sublime génie / J’avais fait un autel ;

Quand, au sein de ce monde, où le malheur isole, / Ton livre, confident de mes chagrins divers, / Etait pour moi l’ami, dont la tendre parole / A toutes nos douleurs se mêle, et nous console / Des jours les plus amers ;

Constat étonnament moderne d’une solitude besogneuse qui deux siècles plus tard trouve plus d’un écho, à la différence que la culture et le talent n’y peuvent rien changer.

D’abord inhumée dans un cimetière qui se trouvait près de l’actuelle Avenue Victor Hugo, ses cendres furent transférées au cimetière des Péjoces dans ce monument érigé après souscription auprès de ses nombreux admirateurs

C’est ainsi que devant ce monument aux vers salvateurs, s’entrechoquent les époques, les esprits et les rêves pour une rencontre qui se fait l’écho parfait, amitié rimée, d’une « Visite au cimetière » : (Extrait)

Salut ! champ des tombeaux ! terre paisible et sainte, / De larmes arrosée et d’espérance empreinte ! / Qu’un autre en t’abordant pâlisse avec effroi, / Qu’il se trouble et s’enfuie, il peut trembler; mais moi, / Moi dont la vie, hélas ! a perdu sa chimère, / Pour qui le pain est dur et l’espérance amére,

Dont le coeur, tout aimant, trahi dans son amour, / N’a plus de doux liens qui l’attachent au jour, / Et dont l’âme, en ces lieux étrangère, exilée / Comme l’aigle des monts captif dans la vallée, / Soupire avec ardeur vers un destin nouveau, / J’aime à venir ici réver sur un tombeau.