Véronique Barrillot – 15 rue Charrue

Etincelles, gestuelles, visuelles telles sont les oeuvres de Véronique Barrillot, dijonnaise self made woman de l’art en mode « american way of life ».

Sa vie bien rangée alliant tourisme et prêt à porter de masse a, au seuil de la quarantaine, explosée pour exposer, voyager et enfin vivre d’une passion qui jamais ne l’a vraiment quittée.

Pas d’école des Beaux-Arts mais l’école de la rue et un certain goût pour les fresques urbaines qui loin d’une expression rageuse contre la société suivent tout de même la ligne de la commande.

Vous en avez un petit aperçu, rue Dauphine, dans un hommage gestuel aux silhouettes du patrimoine dijonnais.

D’une main signée se suit le fil de Dijon à l’Ours de Pompon, aux pleurants des tombeaux des ducs et au vigoureux Bareuzai

Une graphie manuelle pour une fresquiste qui joue de la précision du pinceau plutôt que de la bombe.

Un travail minutieux pour grands espaces de défoulement entre la chaussure de foot géante pour le Dijon Football Côte-d’Or et la facade du Klube, complexe sportif à Ahuy.

A celle qui voulait vivre d’un art que Pôle Emploi ne voyait que de ravalement, la vie a heureusement dépassé la survie pour fièrement faire vibrer les murs de sculptures dessinées.

New-York, dont la statue de la liberté tient sa structure du dijonnais Eiffel, l’a vu représentée par Véronique en septembre 2013 à Five Pointz, un espace d’exposition en plein air à Hunters Point, dans le Queens.

Dix mètres de haut, écharpe tricolore comme une élue de charme, entourée des pleurants des tombeaux des ducs de Bourgogne alors en tournée triomphale outre-atlantique.

Etonnant mix dans la mecque du Street Art : 20.000 mètres carrés de murs, qui en 20 ans ont contribué au rayonnement de la culture hip hop dans le monde.

Une ode graphée contre la violence urbaine qui a définitivement disparue, passée au « blanc » dans la nuit du 18 au 19 novembre 2013, deux mois après la réalisation de Véronique en hommage aux nombreuses racines qui forment cette cité cosmopolite.

Une expérience qui demeure néanmoins comme le point de départ triomphal d’un talent à l’américaine qui sait oser sans se départir de ses rêves.

La définition d’une vie épanouissante qui relie toujours Véronique à un pays au combien étonnant et toujours curieux de nouveauté.

Ses tournées sont donc nombreuses, de Washington à Houston*, en passant par Monaco et Paris et en 2017 le Salon des Artistes Français au Grand-Palais, un véritable parcours dans le bon art actuel.

Véronique brille par ses coups de pinceaux et ses coups d’audace, toujours à la recherche d’innovation technique, elle joue sur les apparences dans un jeu de transformation à la « Dorian Gray » ou le portraituré affiche une double personnalité.

 

Après le classicisme qui se voulait une représentation fidèle, physique et quelquefois morale d’un individu, l’arrivée de la photographie a chamboulé cette image picturale pour lui offrir les impressions d’une réalité toujours plus complexe que notre perception.

L’homme révolté (Machine à écrire vs Albert Camus) – Acrylique – 155 x 125 cm – 2018

Pointillisme, fauvisme, cubisme en sont les héritiers auxquels Véronique importe de ses expériences new-yorkaise le pop art de Warhol et le trait graphé de Basquiat.

En découle dans la lignée des « -ismes » un « Wildisme underground » qui étonne par l’alliance de la technique et de l’inspiration.

Face à la toile et suivant vos mouvements, votre perception se substitue au visage évanoui devant l’autre, les jeux de mots (« Dalincoln« ) et les hommages hollywoodiens (Ci-dessous) découlent d’une technique nouvelle poussant toujours plus loin cette idée que tout change toujours plus vite que notre analyse.

Hommage à David Cronenberg – Mix entre « La Mouche » et l’acteur Jeff Goldblum – En résulte sous un certain angle une vague image d’Oscar Wilde – 2015, Acrylique, 200 x 200 cm

Une expérience qui capte la vie dans ses instants, dans ses mouvements, reflet perturbateur de notre époque qui plus que jamais n’appartient qu’aux audacieux qui comme Véronique traversent les frontières des difficultés pour offrir aux moins téméraires le fruit nouveau de leurs découvertes.

Illustration parfaite d’un art au combien nécessaire pour se jouer des faux-semblants.


*Véronique Barrillot

Pour les curieux casaniers, son atelier est ouvert en vitrine et à la visite de son univers au 15 rue Charrue.

B.A-BA Collectif – B.A-BACEDAIRE

Du babillage à l’apprentisage, du B.A-BA à l’abécédaire, les mots articulent la création d’un être, les revendications d’un avoir, l’évolution d’un pouvoir.

Un processus élémentaire qui au-delà d’une identité littéraire offre une ouverture au monde, une perception du partage et des possibles au sein d’une communauté-atelier dont chaque individu apporte la touche d’une réalisation collégiale.

Ainsi s’exprime B.A-BA, un collectif d’étudiants de l’ENSA (Ecole Nationale Supérieure d’Art de Dijon) regroupés autour de la volonté d’organiser des événements culturels variés (expositions, concerts, lectures…), libérés des contraintes d’expositions classiques (musées, galeries…) et de la dualité-miroir auteur-spectateur.

L’idée est que chacun s’exprime, ait son mot à dire, puisse mettre son grain de verbe à une définition dont la forme vaut bien le fond.

M comme Midi ou Mouais pour les moins décidés.

K comme Ketchup ou KKK pour les moins éclairés.

Le B.A-BACEDAIRE commence au pied de la lettre, ouverte, en libre expression. Ainsi du 25 juin au 30 septembre dernier un article par jour a vu se succéder les divers positionnements de Lampadaire, Imaginaire, King size, Lapsus calamar et J’ai pas pris le pain…

A partir du 21 janvier vous êtes solicités pour définir les priorités de N à Z, de Néo multiples à Zénitude, Zeste ou autres zozotages intempestifs.

Toute forme d’expression linguistique quelconque est invitée à participer pour se voir en R : Réseau socialisé, résultat immédiat sur Facebook et finalisé sur Instagram.

Du lundi au vendredi une lettre fait son show, le samedi le synthétise et le dimanche le sacralise en un résumé graphique, point final aux mots de la terre !

Une offre participative rare, occasion presque unique à Dijon de s’immiscer dans l’acte créatif, résultat d’un partage et d’une ouverture à la ville et au monde dont le collectif B.A-BA, s’est fait le fer de lance.

En décembre 2017, « Im/mobiliser » performait sur le déménagement et l’emménagement d’un appartement en constante évolution où le spectateur pouvait prêter main forte pour ne pas décrocher.

En Mars 2018, l’exposition « Indice-Cible » mêlait à l’esthétique légère, élégante et ludique des oeuvres exposées, un jeu de piste où les pièces pouvaient s’associer pour mieux provoquer la rencontre entre auteur et découvreur.

Une démarche totalement contemporaine dans un univers en constante évolution où tout se trouve là ou l’on est, où tout se découvre sur un écran avant la réalité, avant même de réaliser.

Le spectateur, l’observateur, le joueur ou quel que soit sa définition est le nouveau performeur. Son regard accrédite le réel, l’acte de se déplacer permet à la création de se concrétiser.

Le collectif B.A-BA, en sortant des murs de l’ENSA se permet ainsi d’aller à la rencontre de l’acte fini.

Leur projet en cours « Proposition Transformation Réception« , qui donnera lieu à une exposition au mois de Juin, s’inscrit parfaitement dans ce nouveau mouvement de l’art :

Le terme proposition implique la matière première offerte par le spectateur mais aussi la forme que propose l’artiste au regard du public, la transformation reflète l’intervention de l’artiste sur une matière ou l’actionnement d’un dispositif par l’observateur, et le mot réception inclut tout autant la perception du spectateur que la récolte par l’artiste des matières premières qui en découlent.

Osmose des regards et des gestes, combinaison des actes, association des comportements qui par ce nouvel abécédaire offrent les définitions des mouvements artistiques en cours.


Présentation du collectif B.A-BA et de B.A-BACEDAIRE le 21 janvier à 18 h dans l’amphithéâtre de l’ENSA Dijon, 3 rue Michelet, plus d’information et réservation obligatoire ici

B.A-BA Collectif : Facebook & Instagram

Le Consortium – Exposition Hiver-Printemps 2018-2019 – 37 rue de Longvic

Cette saison est de contrastes au Consortium, retours fréquents passé-présent, questions cruciales à l’humanité opposées aux réalités politiques, offrandes au marché de l’art et personnalisation à outrance pour un autre regard.

La couleur est de mise, les techniques en évolution, les supports sans limite et le message général un encouragement à être soi jusqu’à l’outrance.

L’artiste New-Yorkais Mathieu Malouf nous offre un aperçu de l’évolution de son travail, de l’adolescence aux huit dernières années, qui entérine sa contribution majeure au médium pictural entre pailettes, latex, champignons et tumeurs interconnectés.

Les emprunts à l’histoire de l’art sont flagrants, les clins d’oeil pop sont légions, Andy n’est pas loin, Warhol non plus, Caytlin (Jenner) est la nouvelle Marylin (Monroe), Kim Jong-Un, le nouveau Mao et Donald, le Kennedy d’un destin réalité.

Ca brille, ça claque, flashez avec votre portable pour plus d’explications controversées sur la conscience humaine et ses vérités éternelles teintées d’intelligence artificielle :

L’ensemble est un tout, le particulier un rien de nous, ce que l’art devrait toujours être, amusant, dérangeant, un spectacle vu de loin, un constat pour chacun.

Questions de genre, d’objet à sujet que confirme l’oeuvre de la texane Emily Mae Smith qui libère de sa fonction d’esclave le balai de « L’apprenti sorcier » de Walt Disney pour en faire tour à tour le vainqueur du Sphinx et l’icône glamour d’un nouvel Art Nouveau aux courbes pop, couleurs grinçantes et verres fumés pour mieux montrer ce que l’on veut cacher.

Les inspirations fusionnent, la fusion ambitionne et l’ambition gagne à se faire connaître, le balai en devient phalocrate et la langue hygiénique, pied de… nez aux carrières faciles dont Emily veut se démarquer pour durer.

Sa proposition est donc multi-facettes, oeuvres d’obstination et d’envergure, exécution parfaite, fantaisie et sens du grotesque digne de la scène des Chicago Imagists des années 60 dont elle revendique l’inspiration.

Déplaire pour mieux séduire, s’opposer pour créer sa vérité, mixer pour réinventer sont les clés d’une surprise picturale rafraîchissante et confortante pour une artiste déjà majeure.

Créer pour témoigner, inventer pour insister, inspirer pour évoluer sont des impératifs que l’artiste américaine Valérie Snobeck transpose aux questions écologiques et environnementales.

Particulièrement sur le bilan contrasté de l’United States Environmental Protection Agency (EPA) et sa relation malaisée avec les lobbies industriels, notamment sous le gouvernement américain actuel avec sa remise en question des règles de protection de l’environnement établies sous les administrations précédentes.

Valérie Snobeck s’inspire de l’architecture du bâtiment de l’EPA à Washington et le réduit à la taille du corps humain.

Impacts et dépendances, perception et réalité où l’architecture est dépouillée de sa monumentalité, les armatures porteuses réduites à un squelette, voir un fantôme, essence famélique de ce qui est censé nous surplomber, nous surpasser…

Un changement d’échelle pour mieux parvenir à saisir les enjeux d’une humanité écrasée par ce qu’elle a créé ou est entrain de créer !

Oeuvres réduites à témoigner des agissements de leur époque et de leurs dérives, oeuvres majeures qui souvent témoignent à la fois d’une époque et de ses « clins d’oeil » au présent.

Les oeuvres de la collection du Consortium Museum plongent le premier étage dans le New-York des Eighties.

David Robbins, qui en son temps a fait poser les jeunes loups de l’art contemporain à la manière de comédiens en devenir (Talent, 1986), confirme aujourd’hui le statut de star de Jeff Koons ou de Cindy Sherman.

Allan McCollum et ses « Fives perfect vehicles » reproduit cinq bocaux à gingembre chinois, identiques si ce n’est par la teinte, parfaits si ce n’est par la perte de fonctionnalité, l’ouverture étant impossible.

Métaphore à l’époque de la marchandisation du monde de l’art, n’est t-elle pas de nos jours celle des nouvelles icônes populaires multipliables, parfaites et inutiles ?

Une saison témoignage de notre monde et de sa façon de le recréer pour le réinventer ou tout au moins l’aider à évoluer. Steven Parrino s’est « attaqué » à la fin des années 70 à la peinture, médium que l’on disait alors moribond. La toile malmenée, dissociée du chassis, détendue, retendue s’est réinventée comme l’artiste et comme l’homme moderne qui sans mouvement s’enlise.

Le rythme s’accélère, la pression pousse à la performance et ce dont témoigne ces artistes est de ne jamais se nier, s’inspirer sans jamais renoncer à sa personnalité, être un cri strident dans la convention.

Steven Parrino, « Screaming Yellow Crush on Classy Chassis », 1992

L’Histoire est un éternel recommencement, l’histoire de l’art n’y fait pas exception si ce n’est que son rôle est de « faire un meilleur avenir avec les éléments élargis du passé« (Goethe).


Expositions à voir jusqu’au dimanche 14 avril, plus d’information ici


Oeuvre d’introduction :

Mathieu Malouf, Caytlin, Peinture acrylique et paillettes sur toile, 167,6 x 167,6, 2017

Le Consortium – 37 rue de Longvic – Printemps 2018

La création est une offrande à ses rêves tout autant qu’un hommage aux époques et aux personnes qui les ont nourri.

L’imagination est une dynamite qui ne s’exprime pas sans l’étincelle qui a engendré l’imaginaire.

Jay DeFeo

Le Consortium, cette saison, nous fait voyager dans le temps par quatre expositions, révérences aux références, moteurs multiples d’une personnalité inspirée, admirations mouvantes du temps perdu à conquérir son idéal, nostalgies offertes aux fringales futuristes.

La première nous fait découvrir Jay DeFeo, femme, américaine, artiste de la matière, inspirée du tout, créatrice sans entrave.

Une liberté d’action, des années 50 à sa disparition en 1989, qui l’associe à la « Beat Generation » selon le terme inventé par Jack Kerouac en 1948, qui oscille entre « béatitude » et « fatigue » face à une société qui se jette furieusement dans la sur-consommation.

Jay Defeo en crée le manifeste plastique à charge avec « The Rose » une masse de peinture liée à du mica lentement élaborée de 1958 à 1966, passant par plusieurs stades, gagnant à chaque fois en taille et volume jusqu’à atteindre 3 m 27 de haut, 2 m 35 de large et 28 cm d’épaisseur pour plus d’une tonne de matière.

« The Rose » – Whitney Museum of American Art – New York

Une oeuvre obèse expulsée de l’appartement qui l’a vu naître, en même temps que sa créatrice, en cassant les murs et en utilisant un chariot élévateur.

Flower Power ultime d’une société sans limite, qui en fait l’oeuvre emblématique d’un monde occidental post-nucléaire.

Une énergie créatrice, visible ici en échelle réduite, par une série de peintures et de collages mis en perspective avec le travail de onze artistes de la nouvelle génération entrainés par cette vague toujours en mouvement.

La ligne, la matière, les motifs, les références à l’histoire de l’art et aux médiums originaux se trouvent multipliés en effet de miroir confronté.

Ugo Rondinome transforme la toile en mur trompe-l’oeil, jute noircie en effet de briques, faux-semblant symptomatique de nos fantasmes et réalités de séparations passées et à venir.

Oscar Tuazon, veut quant à lui, reconstituer le mur détruit pour évacuer « The Rose« , porteur autant que l’oeuvre sauvegardée de l’acte créatif.

Gay Outlaw se nourrit de références classiques, cercle parfait de Giotto, en sucre ambré, caramel concentrique qui ne tardera pas à l’époque du réchauffement climatique à enduire les murs d’une substance calorique.

Wyatt Kahn se plie à l’ambiguïté peinture-sclupture en formes de plomb imbriquées dans une géométrie picturale écho à ses dessins pris de reliefs sous-jascents.

Et Tobias Pils, invité de la précédente exposition du Consortium, graffite les toiles d’encre dont les lignes épurées ne dissimulent pas longtemps les objets d’une libération sexuelle archétypale de la « Beat Generation« .

Autant de clins d’oeil à l’art de la liberté initié par Jay DeFeo qui se joue des limites pour mieux les réinventer.

Deuxième exposition et autre artiste à repousser les extrêmes, Rebecca Warren présente son travail bouillonnant et technicolor.

Des totems expressifs, odes brutales par leur texture à une féminité affirmée sans tomber dans les clichés de courbes quasi-machistes.

On retrouve dans ses oeuvres, d’argile, de bronze et d’acier soudé les silhouettes graciles de Giacometti taguées de teintes pastel.

Deux mondes qui s’entrechoquent, deux clichés, de la minceur et du mignon, qui collent aux femmes dans une normalisation illustrative.

Ainsi, Rebecca Warren en mélangeant les poncifs nous montre des créatures torturées qui agissent entres elles, dans une harmonie plus complexe qu’au premier regard.

Une manière habile de donner de la profondeur aux apparences.

Troisième exposition, « Southern Garden of the Château Bellevue » du jeune artiste américain Matthew Lutz-Kinoy nous entraîne dans un revival rococo à la française.

Une série de toiles décoratives réalisées pour la grande galerie du premier étage du Consortium et inspirées par les salles dédiées au peintre François Boucher dans le musée de la collection Frick à New-York : des panneaux muraux représentant des enfants jouant aux adultes.

Tout l’art de vivre du XVIIIe siècle s’y retrouve, du tracé des jardins à l’anglaise, aux teintes délicates, blond, bleu, rose et orangé, en passant par les scènes naturalistes et les chairs généreuses plus ou moins disloquées…

Car ces toiles témoignent aussi d’un certain libertinage homosexuel, inspiré cette fois des dessins érotiques de Cocteau et de son fameux « Livre blanc« , fantasmagories de marins enchevétrés et de michetons prêts à satisfaire tous les fantasmes de ces messieurs.

Matthew Lutz-Kinoy réussit à rendre le tout agréable à l’oeil et à renouer superbement avec l’art de l’ornement, créateur d’une atmosphère raffinée telle qu’il n’en existait plus depuis Cocteau et la période faste des grands bals et fêtes dans les demeures de ses riches amis, la villa blanche à Tamaris ou la villa Santo-Sospir de Francine Weisweiller à Saint-Jean-Cap-Ferrat.

Une époque disparue qu’il est toujours agréable de voir réapparaître au détours d’une galerie.

Il serait donc dommage de ne pas continuer la découverte de ces mondes perdus avec la dernière exposition : « My Colorful Life » de Pierre Keller.

Cet ancien directeur de l’ECAL/Ecole cantonale d’art de Lausanne (1995-2011) a construit son art à une époque où la rue, les clubs et les backrooms étaient les principales sources d’inspiration.

Ne lachant pas son appareil photo, bien avant que ce ne soit un geste machinal, il a conservé la mémoire de plaisirs qui ne devaient être qu’éphémères.

Cet art du dévoilement se retrouve ici dans les nombreux polaroïds d’une époque définitivement close, celle d’une insouciance tant cérébrale que sexuelle, l’un entraînant certainement l’autre, où apparaissent les génies répondant aux noms de Warhol, Haring ou le bel anonyme au talent particulier.

Des images plus suggestives que pornographiques, qui ne laissent pas le goût amer d’une expérience interdite qui finit mal.

La jouissance du passé est comme en suspend et peut encore se vivre aujourd’hui, là est l’art de Pierre Keller, avoir fixé à jamais cette courte période de liberté totale, entre l’affirmation gay de Stonewall et l’apparition du sida.

12 à 13 ans d’une vie débridée, performance mortifère dont ces polaroïds témoignent encore de sa raison d’être.

Quatre expositions liées dans un jeu de mouchoir, entre émotion, agitation et recyclage d’un art qui se doit de provoquer demain.


Expositions à voir jusqu’au 20 mai, plus de renseignements ici.

FRAC Bourgogne – FREE THE WOMEN – 16 rue Quentin

FREE THE WOMEN

Une exposition slogan comme un début de solution à la question imprimée par  Maria Grazia Chiuri, la nouvelle directrice artistique de Dior, sur une marinière de sa dernière collection hommage à Niki de Saint Phalle : « Why have there been no great women artists ?« .

Le FRAC Bourgogne dans ce vent féministe, quelquefois aussi radical que le mal à éradiquer, nuance le propos par ce titre, nouvelle signification soft à l’acronyme antisocial de la contre-culture biker, F.T.W. : Fuck The World !

Clin d’oeil aux questions et affirmations extrêmes cette installation prône la liberté à la française par la voie de la parité : 6 artistes, 3 hommes et 3 femmes en confrontation directe et frontale au-delà du sexe, de la génération et de l’inspiration.

Le travail des trois artistes masculins (Jean Dupuy, Matias Faldbakken et Steven Parrino) déjà vu en 2016 lors de l’exposition « here / there / where » y gagne une perception nouvelle dans ce discours sans parole avec les oeuvres d’Anita Molinero, Emilie Ding et Nancy Rubins, pour certaines toutes récentes acquisitions du Fonds Régional d’Art Contemporain de Bourgogne.

Le langage plastique et visuel y gagne une expression nouvelle, loin des clichés de l’artiste féminine aquarelle, par une présence forte et essentielle au dialogue artistique comme l’a prôné toute sa vie Steven Parrino (1958-2005), artiste hors cadre, provocateur et biker jusqu’à la fin, qui a inspiré ce nouveau F.T.W.

Lee Marvin/Marlon Brando, 1990, collection Le Consortium

Son travail dès la fin des années 70 est de secouer la peinture alors déclarée morte, de détacher la toile devenue civière pour lui redonner du relief.

Lee Marvin/Marlon Brando (Détail)

Ces « peintures déformées », monochromes froissés, apportent de la matière, effets inédits que l’on retrouve chez les trois artistes féminines de l’exposition.

Anita Molinero (1953) a tiré de ses difficultés d’apprentissage de la sculpture la force de la confrontation à l’inconnu de l’art. En résulte des oeuvres dont la puissance émane de l’irréversibilité du geste, de ces plastiques qu’elle coupe, brûle et lacère jusqu’aux limites de la forme.

Sans Titre (La Rose), 2003, collection FRAC Bourgogne

Un mix entre apparence sucrée, barbe à papa et guimauve, et réalité de matériaux toxiques et pérennes, polystyrénes transformables mais infiniment indestructibles.

Sans titre (La rose) – (Détail)

La même démarche de transformation industrielle anime Emilie Ding (1981), l’artiste suisse adepte des formes structurelles issues du BTP et de l’architecture moderne.

« Marquisats V« , monolythe de béton, exprime son goût pour les modifications techniques, les formes concrètes et les matériaux bruts qu’elle malmène.

Marquisats V, 2015, collection FRAC Bourgogne

Rondeur du graffiti opposé à la masse rectiligne du béton, comme un condensé de la double expression urbaine, réglementaire et contestataire.

Marquisats V (Détail)

Motif expressif que l’on retrouve dans ses derniers travaux en feutre aux abstractions calcinées, comme bitumées.

Untitled (Neutra), 2016, courtesy Xippas Galleries – Untitled (Gran Torino), 2016, courtesy Xippas Galleries

Le matériau d’isolation phonique doit voir sa structure changer pour s’exprimer, prendre du relief et rompre avec son minimalisme structurel.

Untitled (Gran Torino) – (Détail)

Une existence feutrée, qui comme les plastiques d’Anita Molinero, naît de la destruction maitrisée.

Nancy Rubins (1952), la troisiéme artiste exposée, questionne aussi la nature des techniques.

Même attitude monochrome, même faux semblants qui demandent au visiteur d’y regarder à deux fois pour essayer de comprendre la matière et la démarche.

Drawing, 2003, collection FRAC Bourgogne

Artiste habituée des sculptures monumentales, assemblage de détritus et de matériaux divers, l’oeuvre exposée ici ressemble à un morceau de tôle brute, élément métallique tiré d’un avion ou d’une voiture.

Pourtant il s’agit d’un dessin au graphite sur papier épais, qui romp avec la perception classique de la peinture et de la sculpture, du mécanique et du manuel, de la technique industrielle et artistique.

Drawing (Détail)

Trois artistes féminines qui savent se jouer des apparences et d’une perception souvent biaisée de la réalité comme un pied de nez à leur propre statut de femme, inventive, radicale, forte et monumentale dont la notoriété pâtit encore des clichés.


Exposition à voir jusqu’au 18 mars 2018

Ouverture de deux nouvelles salles à partir du 17 janvier 2018

Renseignements au 03.80.67.07.82


Oeuvre d’ouverture (détail) : Anita Molinero, Croûûûte Criarde, 2016, courtesy Galerie Thomas Bernard – Cortex Athletico

Le Consortium – 37 rue de Longvic – Automne-Hiver 2017-2018

Premières expositions au Consortium, centre d’art contemporain, depuis la disparition de Xavier Douroux, son cofondateur, le 28 juin dernier.

Ses 40 ans à la tête d’un centre devenu institution pour nombres d’artistes et d’initiés, trouvent un hommage dans la diversité des oeuvres exposées durant cette exhibition automne-hiver 2017-2018.

Du basique à l’onirique, du rapide au technique, du folklore saisonnier aux oeuvres pensées.

Toutes les facettes de l’art actuel, des balbutiements que l’on souhaite prometteurs, aux artistes affirmés qui évitent malgré tout la facilité…

Une déception d’abord, dans l’immense galerie de l’étage, transformée en chambre mortuaire gothique et anti-christique : « Hymne à la joie« .

L’artiste canadien Nicolas Ceccaldi (1983) qui dès l’entrée oscille entre lumière et noirceur d’un trait prometteur se perd vite dans une évidence outrageante, dont le génie repose certainement sur l’ironie du titre.

Une enfilade de miroirs gothiques de pacotille, aux reflets de cirage évidemment noir, accueillent en leur centre des crucifix inversés sortis d’une ressucée de films de vampire de la Hammer, mauvaise époque.

La déception est d’autant plus grande que cet artiste, dont le travail sur la fragilité et l’obsolescence ne laisse habituellement pas de marbre, nous promettait, dans un communiqué du Consortium, dont il a été le résident estival, un travail sur le drapeau pirate, « Jolly Rogers », et les déclinaisons des memento mori, tête de mort et tibia croisé, sablier, diablotin, coeur…

Une thématique qui pouvait moralement gêner aux vues des circonstances dramatiques qu’a connu le centre mais qui artistiquement se transforme en foire « dark side bon marché », vaguement Marilyn Manson, idéale à quelques semaines d’Halloween mais qui ne rend hommage à personne !

Heureusement, les cinq autres artistes sont plus fidèles à l’esprit maison.

L’autrichienne Marina Faust, tranche dans les couleurs vives, morcelle les images de l’enfance pour découvrir l’adulte que nous deviendrons.

Une série de collages-portraits réalisés à partir d’un livre jeunesse, porte une expression artistique dont l’archaïsme apparent permet en couches successives d’exprimer le passage du monde de l’innocence à la connaissance de ses limites, aussi abruptes que celles d’une feuille déchirée.

Le même constat d’évolution rapide et artificielle se retrouve dans le travail de Wang Du (1956), l’un des nombreux artistes chinois installé en France, à l’image de Yan-Pei-Ming à Dijon.

Enfant de la révolution culturelle, puis mineur pendant 6 ans, il entre aux Beaux-Arts de Canton dont la formation académique titille son esprit rebel.

Ses sculptures de par leur format, gigantesque, leur source d’inspiration, populaire, et leur installation, toujours spectaculaire, interrogent les changements profonds, corporels et intellectuels de notre société.

Le passage de l’évolution naturelle à l’évolution artificielle engendre un monde de clonages, lié certes à la biotechnologie mais surtout à cette volonté de célébrité immédiate, prophétie Warholienne vide de sens, qui envahit les réseaux sociaux.

Wang Du, par la présentation de certains éléments de son exposition de 2000, réalisée au Consortium, « Réalité jetable », dresse le constat d’une anticipation des années 2010 dont le trio monstrueux évoque à la fois le produit marketing, la violence et l’exhibitionnisme qui se place en hauteur, au dessus de tout et de tous.

Une prédiction étonnante de notre monde avide de téléréalité et de « stars » gonflabes et dégonflabes à volonté en valeur d’exemple.

Même retour sur les oeuvres d’un passé proche avec le peintre hollandais Peter Schuyff (1958) et la toute première retrospective de ses travaux de jeunesse, réalisés de 1981 à 1991 à New-York.

L’accent est mis sur trois groupes d’oeuvres : des acryliques sur toiles dites « biomorphiques », typiques du début de ses recherches (1982-1984), une importante sélection de compositions abstraites (1984-1988) également à l’acrylique, ainsi qu’un large groupe de travaux sur papier traversant la décennie (1981-1991).

Une plongée dans le mouvement Néo-Géo des années 80, héritié du Op Art, entre minimalisme, jeux visuels et esthétique fractale, parente des théories populaires à l’époque, dont la théorie du chaos.

Une mise en perspective à la fois décorative et méditative, pour des oeuvres qui ne nient pas le plaisir esthétique qu’elles procurent tout comme les réflexions qu’elles suscitent.

Une dualité du désir et de l’esprit qui se retrouve dans le jeu de miroir du travail des artistes Tobias Pils et Michael Williams.

Deux approches du motif à la base d’un travail sur l’expression artistique.

L’autrichien Tobias Pils (1971) travaille d’abord sur lui-même en oubliant à chaque nouveau projet ce qu’il a pu faire auparavant.

Une volonté de nouveauté qui sans nier ne cristalise pas le passé. Un mouvement vers l’avenir qui s’inspire aussi bien d’une allégorie traditionnelle, que d’un rythme ou d’une harmonie abstraite.

Un langage pictural expressif et passionné qui présente souvent dans une seule oeuvre le représentatif, le fantastique et l’abstrait.

En résulte des images vaguement humanoïdes qui émergent de ces toiles exubérantes aux compositions-combinaisons d’huile, d’acrylique et de vernis, aux effets de lavis doux pour gestuelles audacieuses.

Une technique énigmatique et sophistiquée qui fait écho au graffiti tout en étirant les possibilités picturales.

Là est l’intérêt de la confrontation avec les oeuvres de l’américain Michael Williams (1978).

Un artiste intuitif, à la fois rigoureux et irrévérencieux, dont l’iconographie particulière le rapproche aussi du graffiti et de la culture populaire.

Chacun de ses tableaux est d’une grande complexité visuelle métissant un éclectisme Hippie (Nom d’une de ses oeuvres) et le numérique, le griffonnage aérographié dans des couleurs vives et des explosions graphiques sur la toile.

Les inspirations sont nombreuses (George Grosz, Edward Koren, Cy Twombly…) en un mix très particulier où les couches successives créent une perspective nouvelle, tant en profondeur qu’en ressenti.

Deux artistes très techniques, qui savent jouer sur les émotions pour permettre à chaque observateur de s’immerger personnellement dans l’oeuvre.

Un très bon cru automne-hiver 2017-2018 pour le Consortium qui sait toujours aussi bien mêler sa propre histoire aux talents internationaux, en retrospective ou dans la perspective de techniques nouvelles au service d’une expression essentielle qui a, comme dans la vie, quelquefois ses ratés.

Les Bains du Nord (FRAC Bourgogne) – 16 rue Quentin

« La peinture en apnée » c’est aller à l’encontre des reflexes naturels et culturels, une expérimentation d’art clinique qui demande à notre cerveau de se déconnecter quelques secondes pour faire voler en éclats le cadre doré limitateur des sensations picturales.

Hugo Pernet, Rosier, 2016 / Antoine Château, Une Dance, 2015 / Hugo Pernet, Deux roses, 2016

Dans l’imaginaire collectif l’art actuel se cantonne aux installations, performances et sculptures spectaculaires,  le Pôle d’Action et de Recherche en Art Contemporain de Dijon* propose en une exposition, 37 peintures et 24 artistes, de remettre la création sur la toile et le papier.

Ida Tursic & Wilfried Mille, La jeune fille au singe, 2012, huile et argent sur toile, 200 x 250 cm, courtesy Almine Rech Gallery

Une nouvelle dynamique qui oblige à une revitalisation du tableau : photographie et traitement informatisé de l’image qui s’humanise par le geste et les accidents de « tâches », informatisation artisanale en pixelisation picturale, ou monochronisme subjectif qui renouvelle la Peinture d’Histoire.

Comme dans la dernière oeuvre de l’artiste Sino-dijonnais Yan Pei-Ming, hommage à la disparition d’Aldo Moro, président de la Démocratie chrétienne italienne, le 9 mai 1978 à Rome, dont le corps retrouvé dans le coffre d’une voiture teinte encore du rouge des brigades terroristes la vie politique transalpine.

Yan Pei-Ming, Aldo Moro (9 May 1978, Rome), 2017, huile sur toile, 250 x 300 cm

En regard de deux autres de ses peintures, l’éxécution mouvante et éclabousante de « Quartier chinois de Saigon » (2004) et « President elect » (2017) titre-trump, constat d’un bateleur triomphant, l’énergie émane autant de la représentation que de la présentation.

Yan Pei-Ming, Quartier chinois de Saigon, 2004, huile sur toile, 130 x 200 cm

L’accrochage participe de l’oeuvre en devenant une part non négligeable de sa production. Suivant les expositions le message peut s’amplifier par l’accord avec d’autres oeuvres rendant unique chaque proposition.

Ici, la tension est maximale entre figuration et abstraction (Image d’ouverture), au sens plein des deux termes, en évitant toute catégorie pouvant relever à la fois de l’une et de l’autre.

Plus encore que les organisateurs, les artistes encouragent cette mise en perspective enrichissante pour le renouveau de la peinture.

Tant et si bien que c’est une véritable scène picturale qui en émerge, particulièrement à Dijon qui à travers l’Ecole nationale supérieure d’art et de design de la ville se montre aujourd’hui active en matière de peinture, tant sur le plan de l’enseignement que sur celui de la recherche.

Une perception nouvelle, voir optique, comme dans le travail du bisontin, devenu dijonnais, Loïc Raguénés qui joue sur la représentation, la mémoire et les affects véhiculés par l’iconographie contemporaine.

Loïc Raguénès, A partir du Club-House, 2011, gouache sur carton, 150 x 230 cm, collection FRAC Bourgogne

La notoriété d’un artiste comme Yan Pei-Ming, issu de cette institution, aide à accélérer ce mouvement, d’autant que son « aura » attire des disciples tel Atsing, né à Shanghai, professeur à l’école des Beaux-Arts de Beaune depuis 2001, qui vit et travaille à Dijon.

Un peintre figuratif dont les couleurs diffuses indiquent le déplacement vers l’abstraction d’un temps qui n’existe pas encore.

Atsing, Dos, 2011, huile sur toile, 182 x 130 cm

De dos, la nuque inexpressive implique plus une « forme humaine » que l’humain en tant que figure identifiable.

Le temps reprend ses droits par l’accrochage au fond d’un couloir qui initie un jeu de miroir obligatoire, le spectateur tournant le dos en quittant cette figure lointaine.

Un « dos à dos » qui permet, enfin, à la peinture de prendre tout son sens et de se situer dans un espace global dont le regardeur donne vie en imitant l’image.

L’apnée arrive quand on ignore l’essentiel !

Une belle occasion d’humer et d’admirer les artistes d’une scène dijonnaise dense, vibrante et entreprenante dans la réhabilitation d’une peinture qui voit au-delà de ses deux dimensions.


Exposition à voir jusqu’au 30 juillet, du mercredi au dimanche de 14h30 à 18h et le samedi de 11h à 13h et de 14h à 18h.

FRAC Bourgogne – 03.80.67.18.18 / 03.80.67.07.82

www.frac-bourgogne.org / communication@frac-bourgogne.org


* Le Pôle d’Action et de Recherche en Art contemporain est composé de 4 membres fondateurs qui sont : la Direction des Musées et du Patrimoine de Dijon, l’Ecole Nationale Supérieure d’Art de Dijon, le FRAC Bourgogne et Le Centre d’art Le Consortium.

Le Consortium – 37 rue de Longvic – D. Hominal & F. Værslev

Le Consortium va fêter cette année l’étincelle de son existence, 40 ans à s’animer et à présenter des artistes qui ont encore quelque chose à dire sur la peinture.

Rodney Graham dont nous avons déjà présenté le travail (ici) et deux jeunes plasticiens, David Hominal et Fredrick Værslev qui affirment une harmonieuse fureur de créer.

David Hominal

David Hominal, un franco-suisse établi à Berlin, fils de boucher dont le sang des bêtes à été le premier objet et le révélateur de ses talents artistiques.

Enfin un peintre loin des faux semblants et du second degré, regardez, détestez, adorez mais ne cogitez plus. Une qualité essentielle dans un monde de l’art contemporain toujours prompt à noircir du papier pour ennoblir les oeuvres.

Tout son charme tient à cette liberté, loin de tous cloisonnements et des séparations habituelles entre l’abstrait et le figuratif, le consciencieux et le facile, l’art qui fait vendre et celui qui fait plaisir.

Les tournesols s’éclatent, les Smileys (Ou Emojis selon la génération) sont entre Le Cri et un panneau interdit, les monochromes d’ocres reviennent à la terre et les ananas se posent, prennent la pose et s’exposent.

Tout est simple mais rien n’est évident dans une peinture très gestuelle, tressautante, mouvante, vie-brante !

La toile en perd ses limites et rejoint en cela le travail de Fredrick Værslev, qui après Matias Faldbakken en 2013, est le deuxième norvégien à être exposé au Consortium.

Plus apaisé que son compatriote, Fredrick Værslev entretient un rapport très personnel avec la nature dont il se sert à des fins collaboratives aléatoires.

Un climat créateur qui exprime toute la difficulté de la vie en Norvège entre les fréquentes intempéries, le froid et la pénombre, une bonne partie de l’année.

Un cycle rigoureux qui apparaît dans un travail fait de séries sans espace défini, comme un long paysage lumineux découpé en séquences successives dont l’évolution est à peine perceptible mais bien présente.

Un art symbolique et brut, simple et marginal.

D’où le titre de l’exposition « All around amateur« .

Inspiré des photos de couchers de soleil prises lors de voyages en avion, avec un téléphone portable, la retranscription nécessite un chariot mécanique utilisé pour tracer des lignes sur les routes et les terrains de sport.

Les bombes de peinture pour ce type d’outil ne sont disponibles qu’en rouge, bleu, jaune et blanc, ainsi une fois les couleurs déposées sur la toile, Fredrick et son assistant les mélangent avec de l’essence de térébenthine jusqu’à créer un dégradé qui rappelle les tonalités du coucher de soleil.

Les toiles sont alors tendues sur des châssis de même taille afin de pouvoir être alignées de manière continue.

Réalisées par séries de huit toiles successives, leurs séquences peuvent se lire dans l’exposition selon des tonalités qui vont du plus foncé au plus clair.

Une oeuvre atmosphérique renforcée par la mise en scène spectaculaire de l’exposition dans un espace de soixante mètres de long, un extraordinaire effet de ligne d’horizon offert au crépuscule.

Petit instant poétique jamais très éloigné des réalités.

Fredrick Værslev remet constamment en cause le statut de la peinture par sa construction créatrice et par sa réponse aux soucis esthétiques de sa mère, désireuse d’installer une tablette sous le tableau pour y déposer des plantes ou des bibelots.

Etagère aux grains de riz

L’oeuvre réduite à l’ornement et l’ornement devenant oeuvre par la réalisation d’une série (Toujours) d’étagères en bois léger que Fredrick confie à des amis, artistes (Josh Smith, Matias Faldbakken) ou non, pour les décorer.

Humour, ironie, envie de plaire, d’orner, création libre, fétichisme…

… Liberté, réceptacle de tous les possibles, illustrée par ces deux expositions fidèles à l’esprit curieux né de l’étincelle initiale.


Expositions à voir jusqu’au 19 février.

Visites commentées gratuites tous les premiers jeudis de chaque mois à 12h30 – Prochaine le 2 février.

Plus de renseignements ici

Le Consortium – 37 rue de Longvic – Rodney Graham

L’art contemporain évite l’évidence, tourne le dos à la nature en la réinventant, et s’oppose au conformisme au risque d’être un mystère, souvent incompréhensible de « la masse ».

En rupture avec le maillage culturel éclairé, mis en place par André Malraux dans les années 60 (Maisons de la Culture), bon nombre d’associations urbaines, de « libre pensée » ont émergées dès 1970.

Elles se veulent, alors, les lieux d’un discours décomplexé et le champ d’expérimentations « plastiques » en tous genres.

Pour celles qui ont survécu (…) elles ont un poids indéniable dans le libéralisme du marché de l’Art que nous connaissons aujourd’hui.

C’est le cas de l’association « Le Coin du Miroir » fondée à Dijon en 1977 par Xavier Douroux et Franck Gautherot.

Devenue au fil des années, des alliances et des lieux d’exposition, Le Consortium.

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Premier centre d’art contemporain conventionné, en 1982, par la délégation aux arts plastiques du ministére de la Culture.

Désormais une Institution, indépendante, qui va fêter ses 40 ans, en utilisant, pour se faire, le truchement d’un autre anniversaire, celui du Centre Pompidou.

De l’esprit contestataire des débuts que reste-t-il ?

Xavier Douroux : « Je crois qu’on a beaucoup changé, mais malgré tout il y a quand même des lignes de force qui restent et on est toujours dans cette même capacité à dire « C’est maintenant que ça se passe ! ». Et cela permet de suivre, dès aujourd’hui, l’itinèraire d’un artiste dans les années qui vont venir« .

En cette fin d’année, et jusqu’au 19 février, trois artistes sont à l’honneur, R. Graham, D. Hominal et F. Vaerslev.

Trois visions, deux générations.

Intéressons nous au plus reconnu des trois, Rodney Graham, canadien, artiste de la scéne de Vancouver, représenté par les meilleures galeries, de New York, Londres et Zurich.

Le titre de son exposition pose les jalons d’une vision particulière du métier : « You should be an artist« .

« Vous devriez être un artiste »

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Rodney Graham ne se voit pas juste comme un créateur, mais comme un conteur d’histoires, qui souvent le mettent en scène.

La dualité : L’oeuvre de l’artiste et l’artiste dans l’oeuvre, offre toujours un questionnement particulier qui, ici, prend un tour décalé, aux limites de l’ironie, voir de l’humour.

Ses photos rétro-éclairées, uniques, dyptiques ou tryptiques, le représentent grimé en un artiste-personnage, emblématique ou caricatural de leur époque, soit musicien, peintre du dimanche, gardien de phare maquettiste, fou rêveur, ou en manque d’inspiration dans un bar.

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Dans ces images, les univers varient, mais reste toujours un sens de la reconstitution, de la mise en scène, du détail, qui fait de chaque objet du décor une oeuvre d’exception.

On les retrouve, d’ailleurs, échappés de l’image, fragments d’art explicatifs du Tout, en même temps qu’hommage aux artistes et courants d’art passés.

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Ainsi la réalisation du dilletante du dimanche (ci-dessus) s’inspire de l’oeuvre de Morris Louis, artiste américain du color field.

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De même une série de sculptures en fils métalliques (Pipe Cleaner Sculpture) évoque l’Arte Povera, une attitude artistique et sociale, née en Italie dans les années 60, en rébellion contre la société de consommation.

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Le geste créateur surpassant l’objet fini.

Evocation aussi, dans une série de tableaux, de l’artiste Lucio Fontana, avec ses monochromes maltraités, mouvement du « Spatialisme » où la toile doit s’ouvrir largement au delà de son environnement pictural.

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Inspiration d’artistes majeurs des années 60, mais aussi des dessins d’humour que l’on pouvait trouver dans les magazines masculins des années 50.

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Caricature de l’art contemporain, et de ses amateurs, dans un jeu de miroir…

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Possible Abstraction – Laque sur panneau de bois

… Devant ces compositions abstraites, presque identiques, allez-vous vous poser la même question que ces deux hommes ?

Ironie, sens du détail, références, l’art de Rodney Graham est riche à plus d’un titre.

Il pourrait être comparé, en cette période de fêtes, à un calendrier de l’avent, dont les fenêtres ne cessent d’élargir l’univers artistique.

Par références, par déférence et par passion d’un art qui n’oublie pas sa vocation première : élever celui qui le regarde.