A une époque où, pour les dijonnais, la Toison d’or se limite à la quête du tshirt de l’été, les bonnes affaires commerciales ont-elles éclipsées les aspirations d’un monde médiéval finissant ?

Le XVe siècle est une période de transition entre l’idéal chevaleresque du Roi Arthur et de la légende du Saint Graal, chimère de foi, de pureté et de sacrifice, et la redécouverte de l’antique, mythologie lointaine et érudite propre à satisfaire des princes diplomates soucieux de réunir et d’impressionner pour moins s’affronter.
L’ordre de la Toison d’or, institué à Bruges par le duc de Bourgogne Philippe le Bon il y a 588 ans, le 10 janvier 1430 à l’occasion de son mariage avec Isabelle de Portugal, incarne cette arme nouvelle, chaîne dorée pour seigneurs turbulents, parure de promotion de nouvelles valeurs, ornement de prestige pour toute la Chrétienté.

Le duché est une puissance incontournable en cette fin de guerre de Cent Ans et la cour de Bourgogne le creuset d’une fougue passée, avide de croisade, transmutée en symbole d’un nouveau monde plus allégorique, poétique et ludique.
« Le Grand Armorial équestre de la Toison d’or » conservé à la bibliothèque de l’Arsenal au titre de trésor national, est l’un des manuscrits enluminés les plus spectaculaires de la fin du Moyen Âge qui représente au mieux ce passage vers l’époque moderne.
Mouvement extrême, déchaînement abstrait, hardiesse des couleurs, enthousiasme du trait qui font de chaque folio une oeuvre d’art unique à observer pour la première fois avec ardeur chez soi, dans ce fac-similé accessible à tous.

L’occasion de découvrir grâce à l’introduction éclairée de Michel Pastoureau, historien médiéviste et archiviste paléographe, les nuances de cette époque particulière perdue dans la coloration généralisée d’un « Moyen Âge » folklorique.
Une initiation aux subtilités de l’imagerie médiévale pour mieux saisir la beauté savante de ces figures guerrières, de la création des armoiries au Moyen Âge central (XIe, XIIe et XIIIe siècle), objet de visibilité sur les champs de bataille, à la subtilité de leur « écriture », figure identitaire, qui gagne peu à peu la vie quotidienne de toutes les familles, nobles ou non.
Une généralisation qui tend à vouloir particulariser certains seigneurs par une série d’ordres princiers comme celui de la Toison d’or, qui sans être le premier devient rapidement l’un des plus prestigieux d’Europe, de par ses origines, sa rareté et ses contraintes.

Dijon en est le siège, dans la Sainte-Chapelle détruite en 1803, même si les chapitres qui réunissent les chevaliers (24 en 1430, 30 en 1433) se tiennent dans les différentes villes du duché, surtout dans les Flandres.
Le Grand Armorial équestre de la Toison d’or a d’ailleurs sans doute été réalisé à Lille, ville spécialisée dans les manuscrits sur papier, pour un expert de l’héraldique, science du blason.

Car, aux figures des premiers chevaliers de l’ordre s’ajoutent celles des grands princes de l’époque (Roi de France, d’Angleterre, duc de Bretagne ou de Luxembourg…) ainsi que les armoiries de différents pays d’Europe, dont la Pologne, certainement « récoltées » par l’héraldiste lors de la paix d’Arras (1435) signée entre le roi de France Charles VII et le duc de Bourgogne Philippe le Bon, qui met fin à la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons.

Une incursion gouachée dans les méandres de notre Histoire subtilement brossée par les explications claires et précises de Michel Pastoureau et par son dialogue avec Jean-Charles de Castelbajac, artiste et créateur de mode, qui par son trait imagi-naïf met en parallèle cet univers avec le notre.

L’image en est le point commun, de l’héraldiste à l’artiste, du blason au logo, dans un langage plus ouvert et plus terre à terre, pour consommateurs en quêtes de valeurs…
Michel Pastoureau et Jean-Charles de Castelbajac, Le Grand Armorial équestre de la Toison d’or, Coédition BNF / Seuil, 49 euros.