Musée Magnin – Exposition « Exquises Esquisses » – 4 rue des Bons Enfants

« Exquise esquisse. Délicieuse enfant. (…) Oh mon bébé mon âme » (Serge Gainsbourg – Lemon Incest – 1984)

Une accroche populaire pour la nouvelle exposition du Musée Magnin, aux origines de la création : « Exquises Esquisses – Du projet à la réalisation« .

Ambivalence harmonique et ébauche du fini, l’esquisse apparaît chez les peintres vénitiens de la Renaissance comme une notation générale de la composition avant de devenir une règle, un passage essentiel à partir du deuxième tiers du XVIIIe siècle, époque où le sensible se doit de répondre à la raison.

Le Christ soutenu par deux anges, 2de moitié du XIXe siècle

L’amateur d’art veut suivre le processus d’élaboration, l’idée en mouvement, l’imagination au pouvoir avant d’admirer l’oeuvre finie, symbole de perfection.

Le XIXe siècle va croissant dans la perception des qualités propres de l’artiste, dans ce premier jet, cette esquisse, qui ne saurait mentir sur le génie de son créateur.

Les grands mouvements se succèdent alors, du sentimentalisme Romantique, au Réalisme essentiel, jusqu’à l’Impression comme -isme de la vérité au-delà du visible.

Même les peintres plus classiques, dit à la fin du siècle « Académiques », qui se refusent à l’ébauche comme un style en soi, vu comme une facilité dégradante, nuisible à la fécondité, n’hésitent pas à vendre aux amateurs d’art les esquisses de ces peintures d’histoire qui font le succès du Salon officiel.

Ainsi la famille Magnin, bourgeoise sans faire partie de l’élite dijonnaise, peut acquérir des oeuvres dont les proportions s’adaptent à un petit Hôtel Particulier et dont les sujets, divers et variés, s’harmonisent du sol au plafond selon l’accrochage en vigueur à cette époque.

Abondance et éclectisme de l’amateur qui n’empêche pas la qualité, ce qui permet au musée Magnin, avec la Réunion des Musées Nationaux, de confronter les esquisses, bozzetti (premières pensées) ou modelli(Esquisses finies que l’on présente au commanditaire), aux oeuvres définitives conservées dans les plus grands musées, églises ou palais.

Ainsi le modello de « La Mort d’Achille » par l’atelier de Pierre Paul Rubens, répond à une tapisserie dont il était la base de travail pour les tisseurs.

La Mort d’Achille, Rubens et atelier, huile sur toile, 45,3 x 46 cm, Dijon, musée Magnin

La composition est théâtralisée, dernier épisode de la vie du héros, où attiré traîtreusement dans le temple d’Apollon Thymbrien dans l’espoir d’un mariage avec la princesse de Troie, Polyxène, il meurt sous la flèche de Pâris, guidé par le dieu lui-même.

La Mort d’Achille, tapisserie par Gérard Peemans, laine et soie tissées, 410 x 427 cm, Anvers, Rubenshuis (Maison de Rubens)

La morale figure au pied d’Achille : la ruse symbolisée par le renard vient à bout de la grandeur incarnée par l’aigle.

Entre le modello et la tapisserie la scène est inversée en raison de la technique utilisée (Basse Lisse) et on distingue quelques libertés prises par l’artisan lissier, dans le museau du renard ou la chevelure de Pâris, même si tous les élements initiaux s’y trouvent fidèlement représentés.

S’en suit dans cette partie de l’exposition une « chasse aux 7 erreurs  » sur 14 paires du XVIIe au XIXe siècle.

La première est la constatatation d’une « chaleur » de l’ébauche, geste et pensée liés, opposée à la « froideur », voir « fadeur » du résultat, plus lissé et ne résistant pas à notre jugement artistique moderne, plus habitué à la fougue créatrice des petites touches de l’artiste, même si la perfection vernie apporte une sérénité devant laquelle on peut se plaire à méditer.

Eberhard, comte de Wurtemberg, pleurant devant le corps de son fils, ou Le Larmoyeur, huile sur toile, 1833-1834, Dijon, musée Magnin
Eberhard, comte de Wurtemberg, pleurant devant le corps de son fils, ou Le Larmoyeur, Huile sur Toile, Entre 1834 et 1836, Paris, Musée de la Vie Romantique

A l’étage la comparaison se fait entre les esquisses conservées dans les collection et les photographies d’oeuvres qui n’ont pas pu faire le déplacement pour des raisons de droits, de taille ou de nature (peinture murale) impossible à déplacer.

L’occasion de découvrir certains chefs-d’oeuvres présentés au prix de Rome, un concours de prestige qui mettait l’esquisse au même niveau de jugement que l’oeuvre aboutie. (Cf. ci-dessous)

Auguste Lebouy (1812-1854), Les frères de Joseph rapportent sa tunique à Jacob, 1841, huile sur papier marouflé sur carton, Dijon, musée Magnin

Enfin, la troisième partie de l’exposition, dans l’oratoire et le pré-oratoire, donne une idée de la profusion d’esquisses de la collection Magnin, installée selon l’accrochage généreux d’un cabinet d’amateur du XIXe siècle.

Ces oeuvres d’étude n’ont pour la plupart pas connu de réalisations finales, ou elles sont tout du moins aujourd’hui perdues ou non localisées.

Des peintures à la manière « enlevée » qui se suffisent aussi souvent à elles-même, dès le début du XIXe siècle, dans des pays moins teintés d’académisme, comme l’Angleterre, pour gagner peu à peu le continent.

Elles sont aussi dans les ateliers le fruit d’un apprentissage, un exercice pour appréhender l’art de la composition.

Autant de sources d’origine qui donne à cet accrochage une énergie d’idées en suspend pour l’éternité, certaines sous couvert d’anonymat et d’autres aux noms prestigieux comme Jean-Baptiste Corneille, Jacob Jordaens, Anne Louis Girodet, François Gérard ou Eugène Isabey.

Attribué à Jean Broc (1771-1850), Ulysse chez les Phéaciens, vers 1800-1805

Une exposition qui, une fois de plus, éveille la curiosité, aiguise le regard, aide à observer et invite à comprendre les subtilités d’une collection discrète, exquise esquisse de l’Histoire de l’Art universel.


Une exposition à voir jusqu’au 18 mars 2018, du mardi au dimanche de 10h à 12h30 et de 13h30 à 18h30.

Plus d’informations : ici


Oeuvre d’ouverture : Domenico Maria CANUTI (?) (1625-1684), Le Christ soutenu par des anges, fin du XVIIe siècle

Musée Magnin – 4 rue des Bons Enfants – Exposition L’ordre de l’éphémère

Le printemps s’installe et avec lui, pour la plupart d’entre nous, la bonne humeur, la joie, le désir de faire et d’aimer, parallèle instinctif avec la nature renaissante.

Les jardins bourgeonnent et les musées fleurissent tel le Musée Magnin qui décide le temps de la saison (Depuis le 21 mars jusqu’au 18 juin) de nous conter fleurette, des tableaux d’apparat aux huiles intimes, des objets d’étude aux techniques modernes qui fleurent bon le renouveau.

Une histoire d’amour vieille comme le monde et peut être trop évidente pour que l’Art l’ait souvent considéré comme un objet majeur de représentation et d’affirmation du talent d’un artiste.

Jusqu’au XIXe siècle la nature morte était au bas de l’échelle des arts, loin derrière le portrait et la peinture d’Histoire, les fleurs cantonnées aux sujets gentillets de jeunes filles miroirs et aux peintures religieuses en tant que symbole de la beauté du monde.

Jeanne Magnin (1855-1937), Bouquet d’oeillets dans un pichet de porcelaine, huile sur papier marouflé sur carton, H. 36 L. 26 cm, Dijon, Musée Magnin

Leur côté cyclique les éloignent de l’originalité que la peinture moderne ne cesse de rechercher, de la lumière des impressionnistes aux facettes du cubisme jusqu’au monochromisme, abstraction arbitraire qui pousse l’artiste à s’extraire du réel.

Cette exposition insiste sur ces disparités pour mieux les analyser et c’est quatre siècles de fleurs immortelles qui ornent les murs d’un salon du musée éclairé par la verrière d’Auguste Perret, père d’une modernité bétonnée.

Le contraste est constant et apporte à ce rare accrochage la question de l’attention de chaque époque au détail, à la nature et au temps, principes essentiels à la vie et pourtant marqueurs de nettes différences.

Les tableaux les plus anciens présentées expriment tout le talent des peintres néerlandais du XVIIe siècle, comme ces « Fleurs dans un grand vase d’orfévrerie » attribué tout récemment à Abraham Brueghel, cadet d’une grande dynastie de peintres qui très vite a décidé de vivre en Italie, Rome puis Naples, pour se consacrer à la peinture de fleurs.

Huile sur toile, Dijon, Musée des Beaux-Arts

Ce bouquet multiplie les détails naturalistes, du bouton à la goutte de rosée, comme autant de portraits de Cour, de la rose, marquise délicate, à la tulipe, reine incontestée d’une époque où la rareté fugace n’avait pas de prix.

Alors aux Pays-Bas les bulbes de ces fleurs atteignaient des prix exorbitants, dépassant souvent la valeur d’une maison cossue.

Abraham Brueghel apporte ainsi à cette nature morte une noblesse digne de sa valeur marchande, par la délicatesse de traitement et par les dimensions majeures du tableau (H. 156,5 L. 105 cm).

Une économie liée à l’éphémère, telle est l’une des étapes singulière de cette histoire peinte des fleurs que le musée Magnin éclaire de sa finesse de perspective et de ses trouvailles pour une analyse originale de sujets a priori simplistes.

L’exposition reste fidèle à l’esprit de la fratrie Magnin qui voulait par sa collection donner un aperçu des différentes étapes de la peinture, dans une évolution chronologique, fil conducteur qui méne aux tableaux d’un artiste dijonnais contemporain.

Pour se faire nous passons des extravagances hollandaises du XVIIe siècle aux délicats bouquets pastels d’artistes français du XVIIIe siècle, malheureusement souvent anonymes, en passant par les gentilles huiles sur carton de Jeanne Magnin, archétype de l’éducation compléte, si ce n’est du talent, d’une jeune fille de bonne famille du XIXe siècle.

Autant d’étapes qui nous entraîne vers les fleurs modèles, sujets de dessins artistiques ou industriels, à partir de photographies comme celles de Charles Aubry (1811-1877 / Collection du musée d’Orsay), dont les arrangements  floraux aux compositions complexes sont autant de sujets d’ombre et de lumière pour modèles de tissus ou de tapisseries.

Un art appliqué qui bien vite va s’inspirer des impressionnistes qui travaillent à l’extérieur, d’après nature, l’occasion de voir la fleur telle qu’elle veut se montrer et telle qu’on peut la voir.

Le XIXe siècle avide de sciences offre aux élèves botanistes des représentations géantes des fleurs dont chaque élément peut être démonté et analysé. L’Université de Bourgogne conserve quelques uns de ces modèles d’étude en matériaux divers dus à Robert et Reinhold Brendel (Père et Fils).

Aconitum napellus & Dianthus carypophyllus, H. 40 cm

Ces maquettes et arrangements photographiques multiplient la vision de l’évidence pour mieux la réinventer et devient le jalon idéal entre l’art de représentation tel qu’on peut le voir jusqu’au XIXe siècle à l’art de réinterprétation, source nouvelle d’inspiration tel que l’artiste Didier Dessus nous en fait la démonstration.

Cet artiste dijonnais apprécie particulièrement de travailler les sujets en séries, que ce soit les cabanes exposées il y a quelques temps à l’Hôtel Bouchu d’Esterno ou comme ici les fleurs, pivoine, pavot et chrysanthème.

Bon nombre de peintres abstraits, comme Mondrian ou Malevitch, ont été à leur début des peintres de fleurs, signe que l’on apprend de la nature pour mieux la conceptualiser.

Ainsi Didier Dessus perçoit dans les fleurs le cycle de la vie, des pivoines qui préparent leur reproduction, écho à une certaine renaissance ou réensemencement, qu’il compare à la peinture monochrome, vu comme un moment dernier à moins qu’il ne soit le premier ?

En cela il lie le moderne et l’ancien par ces fleurs à l’image retravaillée à l’aide d’un logiciel graphique pour en effacer des lambeaux qui laissent place à un fond monochrome gris-bleu.

Pivoine, huile et acrylique sur toile, H. 120 L. 120 cm

Il restitue ensuite par le dessin puis la peinture ces fleurs déchiquetées sur le fond coloré qui font émerger des morceaux de paysages aux formes fragmentées et ambiguës où chacun peut voir son inconscient.

Une exposition comme un bucolique voyage dans le temps et la technique qui fait perdurer l’art de la peinture dans ce qu’elle reflète de chaque époque.


« L’ordre de l’éphémère. Représentations de fleurs anciennes et contemporaines » Exposition-Dossier jusqu’au 18 juin au Musée national Magnin,       4 rue des Bons Enfants.

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Illustration en tête d’article : Jan van den Hecke le vieux (1620-1684), Fleurs dans un vase de verre, huile sur bois, Dijon, Musée Magnin.

Musée Magnin – 4 rue des Bons Enfants

Dans la culture occidentale la nudité est au paradis ce que le vêtement est à l’humanité, une obligation de la vie en société depuis Adam et Eve.

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Eventail à scène galante en ivoire et vélin, vers 1855

Le musée Magnin par une exposition-dossier « La mode dans le portrait » nous invite à une réflexion sur l’art de se vêtir et sa représentation sociale et personnelle (Comme ce portrait de femme, huile sur toile, vers 1825)

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Certains portraits de sa riche collection sont mis en paralléle avec des vêtements de même époque provenant de la non moins foisonnante collection du musée des tissus de Lyon (Comme ce chapeau baleiné à rubans en taffetas, vers 1830)

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Claire Berthommier, chargée des collections du musée des Tissus et du musée des Arts décoratifs de Lyon, commissaire d’exposition avec Rémi Cariel, conservateur du musée Magnin, me présentait, en octobre dernier, l’exposition pour BFC Radio.

Une collaboration passionnante et taillée sur mesure tant on dirait que les atours et parures choisis sortent des tableaux, du double art de paraître : en société et portraituré.

Mise en perspective dans deux salons feutrés qui invitent à un regard triangulaire, entre parure, portrait et postérité.

Que reste t-il des aspirations esthétiques ? Que reste t-il du passé ? Le vêtement est-il plus porteur d’émotions qu’une peinture ?

Autant de questions à se poser jusqu’au 8 janvier 2017, date de clôture de cette exposition-dossier.

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Tout le mois de décembre, et le reste de l’année, le musée Magnin présente, dans un très bel hôtel particulier du XVIIe siècle, l’Hôtel Lantin, une collection permanente de plus de 2000 oeuvres réunies fin XIXe et début XXe par un frère et une soeur, Maurice et Jeanne Magnin.

Peintures françaises, italiennes et de l’école du Nord (Dont « Les plaisirs de l’Hiver » de Pieter Brueghel le jeune), mais aussi arts graphiques et mobilier.

Des oeuvres classiques, pour la plupart du XVIe au début du XIXe siècle.

En effet, cette fratrie collectionneuse n’avait pas de goût pour l’avant-garde, ce qui n’empêche un choix assez sûr. Ainsi leur indépendance de goût permet d’admirer les oeuvres d’artistes rares dans les musées français, comme Claudio Ridolfi ou Jacopo Bertoja.

C’est aussi l’occasion de découvrir une collection particuliére encore « dans son jus », un vrai Bon dans le temps à deux pas de la place de la Libération.


Le musée Magnin est ouvert du mardi au dimanche de 10h à 12h30 et de 13h30 à 18h. Fermé les lundis, le 25 décembre et le 1er janvier.

L’actualité culturelle de la grande région Bourgogne-Franche Comté est sur BFC Radio, dont je suis le correspondant dans la région Dijonnaise.