Les Péjoces – 239 rue d’Auxonne

Les Péjoces sont à Dijon ce que le Père-Lachaise est à Paris, l’illusion d’une gloire posthume se mesurant à l’ampleur et l’ornementation de ces chapelles privées dont l’actuel abandon relativise cette ambition.

Ce cimetière, créé en 1885, s’étend sur un parc de 30 hectares, alliance du végétal et du minéral assez agréable pour permettre aux vivants de sacrifier au rite social de la Toussaint, hommage annuel à leurs défunts.

Le reste de l’année, le calme du lieu n’est rythmé que par les nouveaux venus accompagnés des pleurs qui en s’éloignant ne laissent inscrit dans le marbre que l’identité sommaire de celui qui a fait leur joie.

Les sépultures plus anciennes gagnent d’une époque aux mémoires d’outre-tombe la bataille du souvenir et de l’implacable oubli en interpellant le passant pour une prière, un moment de recueillement ou par une anecdote, dialogue de chair à pierre ou le mélancolique promeneur apporte le battement d’un coeur quelques minutes partagé.

Une terre nourrie d’émotions, de sentiments et d’amour pour la plupart à jamais enfuis sous la peur de notre propre disparition, ironiquement symbolisée par la lente décomposition des chrysanthémes.

Certaines tombes expriment bien plus, en hommage à une vie de gloire, de réussite ou de passions, qui les transforment en monuments d’une exception dont le souvenir habite notre quotidien.

Edifices des grandes familles aux noms gourmands (Mulot & Petitjean, L’Héritier-Guyot), de dix-sept maires de la ville de Dijon, de l’ingénieur Darcy et des soldats français, allemands, russes, italiens, belges et du Commonwealth morts pour leur patrie lors des conflits du XXe siècle, particulièrement la Grande Guerre.

Un jardin de recueillement qui appelle à la sensibilité telle cette pierre isolée nourrie de ces mots :

Les anges … composent tes chants, mélodieux murmure / Qui s’échappe du coeur par le coeur répondu, / Comme l’arbre d’encens que le fer a fendu / Verse un baume odorant le sang de sa blessure ! / Aux accords du génie, à ces divins concerts, / Ils mêlent étonnés ces pleurs de jeune fille / Qui tombent de ses yeux et baignent son aiguille, / Et tous les soupirs sont des vers ! *

Poème épitaphe d’une lingère dijonnaise, Antoinette  Quarré, qui fait partie de cet essaim chantant de jeunes filles issues des rangs populaires, encouragées par les grands poètes à dépasser leur labeur quotidien pour s’élançer dans la carrière à un rythme tel qu’elles se heurtèrent très tôt contre la tombe.

Antoinette Quarré, née le 16 janvier 1813 à Recey-sur-Ource et morte le 25 novembre 1847 à Dijon

Ces années romantiques (1815-1848) sont les prémices d’une lutte des classes où la plume permet de sortir de l’aiguille, Elisa Mercoeur s’attire ainsi les louanges de Chateaubriand, Musset et Hugo tandis qu’Antoinette Quarré reçoit les encouragements d’Alphonse de Lamartine par cet épître dédié en août 1838 * »A une jeune fille poète » (Paru dans « les Troisièmes méditations poétiques » – 1849)

Une distinction qui lui ouvre les portes des salons de Dijon et de publications bourgeoises comme le « Journal des demoiselles« .

Aujourd’hui ces écrits peuvent être jugés sévèrement, évoquant les envolées lyriques de Walter Scott et les lointains prémices d’une Barbara Cartland dont le succès n’a eu d’égal que la mièvrerie :

Puis je voudrais avoir, au rang de mes conquêtes, / Des héros, des vainqueurs, beaux de gloire et d’amour, / Des princes conviés à mes brillantes fêtes, / Et des rois à ma cour.

Mais, pour tous ces amants insensibles et sévères, / A celui que j’aimais gardant toujours ma foi, / Aimante avec lui seul, avec les autres fières, / Je serais toute à toi !

(Extrait « Elégie« )

Pourtant ces poèmes dénotent, sous couvert d’un romantisme certain, un point de vue féminin aux préoccupations maternelles sensibles, une nouveauté amorcée par Antoinette, lettrée du monde ouvrier, et qui ne connaitra son épanouissement qu’à la fin du siècle :

Que de fois j’ai rêvé, seule, hélas ! sur la terre, / Un ange aux blonds cheveux qui me nommait sa mère, / Un enfant blanc et rose entre mes bras couché, / Jeune être souriant au soleil, à la vie, / Unique et cher espoir de mon âme ravie, / Trésor où mon amour se serait épanché !

(Extrait « Un fils« )

Cette fraicheur de vue, le soutien de Lamartine et les hommages à la famille royale, des Orléans, ont permi l’ouverture d’une souscription, ancêtre du financement participatif, à laquelle 263 notables du département  répondirent en 1843 pour l’édition d’un recueil de quarante de ces poésies.

Y figure l’extraordinaire remerciement à l’épître de Lamartine : (Extrait)

Oh ! Qui m’eût dit jamais, quand de tes chants ravie, / Recueillant tous les sons de ce luth immortel, / De mon coeur qu’enivrait ta sainte poésie, / A ton harmonieux et sublime génie / J’avais fait un autel ;

Quand, au sein de ce monde, où le malheur isole, / Ton livre, confident de mes chagrins divers, / Etait pour moi l’ami, dont la tendre parole / A toutes nos douleurs se mêle, et nous console / Des jours les plus amers ;

Constat étonnament moderne d’une solitude besogneuse qui deux siècles plus tard trouve plus d’un écho, à la différence que la culture et le talent n’y peuvent rien changer.

D’abord inhumée dans un cimetière qui se trouvait près de l’actuelle Avenue Victor Hugo, ses cendres furent transférées au cimetière des Péjoces dans ce monument érigé après souscription auprès de ses nombreux admirateurs

C’est ainsi que devant ce monument aux vers salvateurs, s’entrechoquent les époques, les esprits et les rêves pour une rencontre qui se fait l’écho parfait, amitié rimée, d’une « Visite au cimetière » : (Extrait)

Salut ! champ des tombeaux ! terre paisible et sainte, / De larmes arrosée et d’espérance empreinte ! / Qu’un autre en t’abordant pâlisse avec effroi, / Qu’il se trouble et s’enfuie, il peut trembler; mais moi, / Moi dont la vie, hélas ! a perdu sa chimère, / Pour qui le pain est dur et l’espérance amére,

Dont le coeur, tout aimant, trahi dans son amour, / N’a plus de doux liens qui l’attachent au jour, / Et dont l’âme, en ces lieux étrangère, exilée / Comme l’aigle des monts captif dans la vallée, / Soupire avec ardeur vers un destin nouveau, / J’aime à venir ici réver sur un tombeau.   

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