Exposition « L’art des tranchées » – Archives départementales de la Côte-d’Or – 8 rue Jeannin

Plus de quatre années de commémorations de la Grande Guerre et combien de manifestions en hommage à ces hommes qui ont vécu dans des conditions atroces ce temps qui nous semblait déjà n’en plus finir dès l’été 14 ?

Une zone de confort à un siècle d’intervalle, différence majeure entre vivre et se souvenir de combats qui en gagnant au fil des semaines quelques mètres de terre nous permet aujourd’hui de ne plus vraiment avoir les pieds dessus.

« On enterre l’adjudant après le combat de Neuville Saint-Wast, 22 mai 1915 », crayon et gouache, attribué à Maurice Le Poitevin

L’inimaginable nous rattrape parfois, mais cette liberté d’y échapper quasiment au quotidien est le fruit du courage de ceux-là même qui devaient lutter pour l’obtenir.

Reste des objets d’art et d’artisanat, autant de cailloux blancs extraits des tranchées, mémoire d’un moment et d’une époque où, face à l’ogre guerrier, chaque soldat était comme le petit poucet, réduit à laisser une trace pour éviter de se perdre entièrement.

Une façon poétique pour les Archives départementales de la Côte-d’Or  de replacer l’individu, ses savoir-faire, ses rêves, son métier d’origine, en première ligne loin du terme générique et réducteur de « poilu ».

Maxime Faivre « Pastel du soldat Mouchoux blessé le 2 octobre 1914 au combat d’Oppy Arras »

Cette exposition d’objets issus de la collection du général Bertrand François, commandant de la nouvelle école de gendarmerie de Dijon, brasse toute les matières (Bois, os, corne, pierre, marquetterie de paille…), toutes les formes (Coupe-papier, vases, briquets, bagues, dessins…) et toutes les origines (Française, Russe, Germanique…), comme la vitrine consacrée au soldat allemand Ferdinand Gassen dont les objets ont été prêtés par sa petite fille.

« Memorabilia » signés, dédicacés à un camarade, une infirmière, offerts à la famille, à l’ami d’une fortune que l’on souhaite conserver malgré la situation.

Expressions d’une victoire sur l’ennemi à qui on a soustrait ces « trésors de guerre » transformés pour se les approprier, spontanéité des premiers temps qui, peu à peu, donne lieu à une véritable industrie.

Ces objets que l’on croit toujours issus des feux de l’enfer sont plus souvent issus du purgatoire des centres de rééducation professionnel pour les mutilés de guerre, ou quasiment du paradis de l’arrière, travail de civils vendu par des bijoutiers.

Grand plateau ouvragé signé « Frère L » daté au dos « Verdun 29 octobre 1917 » – Cuivre d’obus et anses en ceinture d’obus

Un engouement servi par la dextérité de certains soldats, en particulier de ceux issus des colonies (Maroc, Algérie) maîtres dans la transformation des métaux issus de munitions.

Une phase industrielle aujourd’hui oubliée, même si reste dans le souvenir de beaucoup le vase, douille d’obus gravée, sur la cheminée des grands parents.

Une exposition souvenir, une exposition hommage, une exposition humaine où, loin des études de masse privilégiées par les historiens, l’aspect personnel transparaît au sein des archives, gardiennes de l’identité.


Exposition « L’Art des tranchées – Petit Poucet de la Grande Guerre » jusqu’au 20 mars 2019, du lundi au vendredi de 8h30 à 17h, dans la salle des gardes au rez-de-chaussée des Archives départementales de la Côte d’Or, 8 rue Jeannin.

Site internet : ici


En tête d’article : F. Matossy, « La corvée de soupe, Eparges, sept 1915« , aquarelle

L’archiviste dans la cité – Un ver luisant

Vient de paraître aux Editions Universitaires de Dijon un ouvrage aux dimensions pratiques qui permet de voyager léger dans un univers, qui bien que réceptacle de souvenirs familiers, est peu exploré.

Les archives traînent des casseroles dont le bruit ne raisonne souvent qu’au cœur de l’actualité, ainsi une fois les « affaires » classées les rats de bibliothèques peuvent trier et conserver le silence des ragots au même titre que les poussières recouvrant ces clichés sépia.

Un bestiaire péjoratif comme une panoplie professionnelle, entre fourmis et souris, dont le ver luisant sous la plume de Balzac* a le mérite de la poésie et de l’efficacité éclairante, même si elle tient en quelques lignes dans le roman de la vie.

L’archiviste est certes discret mais pas muet, c’est pourquoi Edouard Bouyé, directeur des Archives Départementales de la Côte-d’Or depuis 2013, nous propose un autoportrait peint de l’expérience et d’une personnalité entraînante.

Un mémoire dont l’approche de la fonction ne se départ pas du sensible et de certaines polémiques.

On y découvre que le métier d’archiviste demande des capacités que ne peuvent plus satisfaire les victimes du placard professionnel des collectivités, un statut de « dernière roue du carrosse » qui perdure même si les jeunes diplômés, amoureux du patrimoine, savent s’adapter à toutes les époques pour faire évoluer les poncifs.

Pour se faire la formation est primordiale, de l’école nationale des chartes, dont Edouard Bouyé est issu, qui prépare aux métiers de la conservation du patrimoine écrit en France, aux nombreuses formations universitaires professionnelles qui depuis dix ans ont fleuri sur le territoire, à l’image de la licence APICA de l’IUT de Dijon.

Un apprentissage solide qui doit offrir la polyvalence nécessaire à la variété d’un métier fait de conservation, de compréhension et de persuasion envers un organigramme dont le zénith est très éloigné du Service des Archives.

Edouard Bouyé par le nombre de ses anecdotes, au réalisme philosophique, laisse transparaître que la passion est le deuxième moteur indispensable à l’archiviste.

Une qualité essentielle et communicative depuis l’arrivée d’internet.

Pour les archives « le numérique est une révolution silencieuse mais glorieuse« , un moyen d’émerger tout en développant leur fonction essentielle de communication des documents. (30 millions de pages consultées en 2015 sur le site des archives départementales de la Côte-d’Or)

Etre plus proche des « lecteurs » demande à l’archiviste une acrobatie entre le respect des normes internationales de l’archivistique et les besoins d’un accès de plus en plus aisé, et ciblé, à l’information.

Une alliance du technique et de l’humain émerge dans ce livre à travers le récit des multiples rencontres d’Edouard Bouyé avec des personnes à la recherche de vérités, sur des membres de leur famille, ou de leurs origines, en cas d’adoption, des dossiers conservés qui font des Archives, et de leur responsable, le gardien de lourds secrets.

Car ces « vieux papiers » sont autant de vies qui ne demandent qu’à s’exprimer à nouveau.

Archives publiques mais aussi archives privées, de famille, qui par les tourments du XXe siècle éclairent l’intimité de l’Histoire.

La Grande Collecte, lancée en 2013 afin de récolter et numériser les archives des français relatives à la Grande Guerre, a été un succès qui montre l’attachement du public à ses racines.

Les Archives Départementales, en se faisant le dépôt de cette mémoire « populaire » donne une force au souvenir de chacun, une volonté d’offrir aux historiens-chercheurs un passé sous un jour moins officiel, complément des archives publiques.

Edouard Bouyé l’écrit et l’affirme : « Vos archives nous intéressent !« , et pour se faire permet par la parole de réveiller les mémoires.

La lecture d’archives, que ce soit un diplôme de l’Empereur Louis le Pieux daté de 836, plus ancien document conservé aux archives de la Côte-d’Or, ou une lettre de Poilu, permet de faire revivre une époque d’autant plus facilement qu’elle est proche de nous.

Ainsi, le 4 octobre 2014, dans le salon des hommes de guerre du château de Bussy-Rabutin, le choc des conflits nous a entrainé dans les « paysages intimes » lus par Edouard Bouyé, auteur des textes d’introduction, et le comédien Thibault de Montalembert. (Cliquez sur le bouton lecture pour en entendre un extrait)

Des archives vivantes pour tous, tel est le combat de ces nouveaux archivistes dont Edouard Bouyé livre les joies et les contraintes d’un métier à découvrir dans un petit livre, qui, tel le ver luisant, se veut arme de séduction dans la discrétion.


Edouard Bouyé, « L’archiviste dans la cité – Un ver luisant« , Editions Universitaires de Dijon, collection « Essais », février 2017, 105 pages, ISBN 978-2-36441-200-2


* Honoré de Balzac, Ferragus, 1833

Archives départementales de la Côte-d’Or – 8 rue Jeannin

Il existe en ville un monstre insatiable, grossissant de jour en jour de la masse d’information que notre société génère à un rythme effréné.

Un être hybride à la fois éléphant, par l’envergure et la mémoire, et écureuil, par la discrétion et le goût de l’accumulation, une créature complexe qui fait de chacun de nous des docteurs Frankenstein aux morceaux de vie, personnelle et professionnelle, imbriqués, disciplinés et offerts à nombre de curieux de l’Histoire, commune ou plus intime.

Depuis 220 ans les archives départementales offrent à chacun le privilège de se remémorer, de prouver et de s’enraciner au sein d’un monde changeant et jetable.

Par des archives très anciennes comme très récentes, du IXe au XXIe siècle, Dijon conserve 29 kilomètres linéaires de documents qui concernent non seulement la Côte-d’Or mais aussi, pour l’Ancien Régime au moins, la Bourgogne en général.

La plupart sont des fonds d’origine publique, que ce soit les anciennes institutions royales, celles créées après la révolution française ou celles d’institutions permanentes (notaires, état civil, communes, hôpitaux), mais aussi des fonds d’origine privée provenant des familles, entreprises, associations ou tout organisme marquant de la Côte-d’Or ou de Bourgogne.

Ces documents font régulièrement l’objet, comme dernièrement les registres matricules, de campagnes de numérisation qui offrent la praticité et le confort de la consultation sur internet (ici).

Néanmoins, toutes les archives ne sont pas encore consultables en ligne, ce qui nécessite une visite sur site, dans le formidable hôtel Rolin, au contact direct ou indirect, par le résultat de leur travail, avec les agents que je vous invite à rencontrer dans ce document sonore, archive des archives, complément au mémoire de Master en archivistique que j’ai présenté en 2014.

Depuis, les archives s’ouvrent toujours plus au monde qui l’entoure, par des expositions, par la grande collecte Afrique-France, par la recherche sur internet qui ne cesse de progresser, par les réseaux sociaux avec une page facebook (ici) et par la création, il y a un an, de l’association des Amis des Archives de la Côte-d’Or et des deux Bourgognes*.

Cette association est l’occasion de fédérer les amoureux des archives, d’organiser des voyages à la découverte du Patrimoine (Comme ici , l’été dernier, une croisière de St-Jean-de-Losne à Dole), d’échanger avec des associations soeurs et de gérer le programme de « L’atelier du chancelier Rolin« .

Une série d’ateliers qui offrent les clés du savoir, ou tout du moins la possibilité d’avancer en toute autonomie dans ses recherches, par l’apprentissage de la paléographie (Etude des écritures manuscrites anciennes), du latin, de la sigillographie bourguignonne (Etude des sceaux) et par une suite de conférences « Sources et méthodes » qui permettent d’acquérir les techniques d’étude particulières à chaque sujet de recherche.

Des spécialistes (Universitaires, agrégés, bibliothécaires et archivistes) permettent, par exemple, de comprendre et exploiter la comptabilité de la fin du Moyen Âge (14 février), de faire l’histoire d’un château médiéval (14 mars), d’une région comme la Bourgogne (6 juin) ou d’une entreprise de la première moitié du XXe siècle (20 juin).

Autant de sujets, non exhaustifs, qui illustrent à la fois la  diversité des documents conservés au sein des archives départementales et la volonté que chacun puisse les apprivoiser.

Une ouverture au monde qui s’exprime aussi par la rime de l’administratif et du festif.

En dehors des heures d’ouverture, certains soirs, Edouard Bouyé, directeur dynamique et homme de spectacle, vous invite au concert, à la lecture et quelquefois à la dégustation d’un lieu qui, en son temps, accueillit le jeune Mozart.

La bâtisse s’ouvre à la vie du quartier et à certaines festivités, en partenariat avec Arteggio, pour une offre culturelle propice à faire voler en éclats certains clichés plus poussiéreux que la réalité.


*L’association des Amis des Archives de la Côte-d’Or et des deux Bourgognes se réunit en Assemblée Générale le 31 janvier à 18h, l’occasion d’y adhérer afin de participer aux nombreuses activités.

Renseignements à l’accueil des archives et par mail


Pour en savoir plus sur l’évolution du bâtiment l’Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres propose une conférence « De l’hôtel Rolin au Palais des Archives » le lundi 13 février à 18h, 5 rue de l’Ecole de Droit.