« Hôtel : on nomme ainsi les maisons moins belles que les palais et plus belles que les simples logis (…). » Nicolas Catherinot, Traité architecture, 1688.

Un mot qui s’applique depuis le XIIIe siècle aux édifices de prestige (Hôtel de ville), de location et d’hospitalité (Hôtel-Dieu) ainsi qu’aux résidences princières et plus tard, aristocratiques, par opposition au palais souverain et à la maison bourgeoise.
Ce qui a valu à la fin de l’Ancien-Régime d’ajouter à la dénomination de ces résidences privées, souvent réservées à l’usage d’une seule famille, le qualificatif de « particulier » ancré jusqu’à aujourd’hui dans un imaginaire commun fait d’attraction, de distinction et de séduction.
L’hôtel particulier est l’archétype très français d’une réussite distinguée, un élégant esprit national dont Dijon est l’une des villes de France les mieux dotées.
Il suffit d’arpenter les rues pour s’en apercevoir et lire sur les plaques adossées un brin d’Histoire qui nous entraîne en quelques lignes et anecdotes au sein d’une autre époque.

Agnès Botté, guide conférencière et historienne de l’art, nous plonge au fil d’un livre fleuve, résultante d’une thèse océanique, à la découverte de ces îlots de vie, abrités, pensés, construits, organisés, distribués et ornés pour mieux révéler le particulier.
De nombreux articles sur certains hôtels de Dijon ont été publiés au cours des deux derniers siècles par des érudits locaux, particulièrement Eugéne Fyot (1866-1937) et son fameux « Dijon. Son passé évoqué par ses rues » l’un des premiers ouvrages à présenter le patrimoine architectural comme un tout en englobant le prestigieux et l’humble, archétype précurseur de bien des études d’histoire moderne mais qui ne s’engage pas aux sources de ces résidences privées aux profonds secrets.
Dijon qui compte une centaine de ces résidences historiques de prestige, manquait ainsi cruellement d’une étude de synthése sur le sujet comme celles réalisées pour Paris* ou d’autres villes parlementaires.
Agnès Botté nous introduit dans un mode de vie, de pensée et de gouvernement très éloigné de ce que nous vivons aujourd’hui.
Au XVIIe siècle la Bourgogne rattachée au domaine royal à la mort de Charles le Téméraire, en 1477, possède une administration originale et complexe de « Pays d’Etat », comme la Bretagne, la Provence et le Languedoc, avec une certaine indépendance face au pouvoir royal représenté sur place par un gouverneur et un intendant.
Dijon est la capitale de ces « Etats » et le siège des principales autorités de la Province : La chambre des comptes, le parlement et le bureau des finances.
Autant de charges importantes occupées par des hommes de loi qui se doivent de demeurer autour du noyau politique et administratif de la ville pour y recevoir tout en affirmant leur rang.

A Dijon ces hôtels se construisent donc au long des rues, dites parlementaires, contrairement à d’autres villes qui possèdent des quartiers résidentiels, d’où une proximité avec des immeubles populaires, dans une certaine mixité sociale qui fait tant rêver aujourd’hui.
Une affirmation de la réussite de ces hommes souvent issus de « la boutique » qui au fil des générations et des charges ont formé cette « noblesse de robe », majeure à Dijon, au détriment d’une « noblesse d’épée » déjà affaiblie et peu fortunée.
L’hôtel dans le paysage urbain se détache et affirme la position particulière de ses habitants.

Pourtant elle leur impose une certaine discrétion, un parlementaire n’est pas un prince, et une certaine économie, leur fortune étant souvent limitée, issue de biens terriens, tandis que leur origine sociale, commerçante, leur dicte toujours la mesure.
Elle se voit par le peu de fioritures de ces édifices mais surtout par les exigences des commanditaires.

Ce livre est avant tout basé sur des documents originaux, archives familiales et notariales, qui, selon les pièces, donnent des indications sur le bâtiment, son mode de création et ses impératifs de vie.
Les contrats de marchés entre l’entrepreneur et le commanditaire, les inventaires d’entrepreneur, les inventaires après décès et les contrats de mariage sont les principaux actes qui permettent de tracer l’historique de ces hôtels à la dijonnaise et de les comparer aux constructions parisiennes ou d’autres villes.

Aller à la source pour mieux y admirer le savoir-faire des maitres-maçons, observer les plans et la disposition des pièces, fouiner dans les communs, cuisines ou écuries, vivre dans les nombreuses chambres, salons et antichambres, profiter du jardin et de ses pavillons, observer de près les morceaux d’architecture, de l’entrée à la façade, des toitures à l’art des dedans, de l’immuable escalier de prestige aux cheminées monumentales, boiseries et décors peints de 54 hôtels en ordre d’inventaire.

Au fil des nombreux remaniements et changements de propriétaires ces maisons particulières offrent des destins divers.
Musée comme l’hôtel Lantin qui conserve les collections de la fratrie Magnien, lieu d’exposition et de concert comme l’hôtel Bouhier, dit de Vogüé ou comme beaucoup d’autres, lieux d’habitations en multi-propriétés cloisonnées plus ou moins bien préservés.
Un livre comme un parcours qui permet de ressusciter l’histoire de ces hôtels et de s’y aventurer grâce aux photographies de Jean-Pierre Coquéau et à la pugnacité d’Agnès Botté à ne pas les laisser s’oublier.
Les instances publiques, comme la DRAC, sont chargées de veiller sur cet héritage unique sans pour autant sonner à temps le signal d’alarme.
En cela des associations comme « Dijon, histoire et patrimoine » et des travaux comme celui d’Agnès Botté peuvent attirer l’attention sur un patrimoine fragile.
Ironie de l’Histoire, c’est rue Jeannin, en face des Archives Départementales de la Côte-d’Or qui conservent bon nombre des documents permettant de tracer l’évolution de ces morceaux d’architecture, que se trouve l’Hôtel Pérard de la Vaivre, le plus en péril de tout Dijon.
Noirci et aux pierres fuyantes, il est pourtant un jalon important dans l’histoire de l’architecture dijonnaise du XVIIe siècle par ses rapports étroits entre son ordonnance colossale et celle des hôtels parisiens des années 1640-1650, dont le formidable hôtel Lambert, en l’île Saint-Louis, aux propriétaires aussi peu délicats (A lire ici).
Une étude comme un élan : Ecrire, lire et agir afin que ces hôtels particuliers demeurent un bien commun.
Agnés Botté, Les hôtels particuliers de Dijon au XVIIe siècle, éditions Picard
* Alexandre Gady, Les hôtels particuliers de Paris, du Moyen-Âge à la Belle Epoque, éditions Parigramme